"Grossir le ciel" Franck Bouysse
Dans un coin perdu des Cévennes, entre Alès et Mende, dans un lieu-dit appelé Les Doges, vivent Gus et Abel. 20 ans les séparent mais ils se sont liés d’amitié et se tiennent compagnie quand la solitude se fait trop pesante.
Gus est un homme simple, s’occupant passionnément de ses bêtes à la ferme. « Ni malheureux, ni heureux », mais profondément meurtri par un drame familial. Il se trouve inintéressant et vit presque en ermite dans sa ferme avec son fidèle compagnon : Mars, son chien.
Rien ne perturbe son quotidien. Jusqu’au jour où, alors qu’il s’apprêtait à tirer sur des grives, il entend un autre coup de feu provenant de la plantation d’Abel. Pensant que son ami l’avait devancé, il se prépare à tirer de nouveau. Mais …
Gus n’eut pas le temps de tirer car, à ce moment précis, un coup de feu retentit, en provenance de la plantation d’Abel. Gus sursauta. Il ne s’était pas trompé. Abel avait eu la même idée et dégainé le premier. Les grives s’envolèrent et quelques secondes plus tard, d’autres arrivèrent, délogées de la plantation. Il n’allait pas laisser passer sa chance une deuxième fois. Il visa un nouvel oiseau. Il était prêt à appuyer sur la détente, mais n’eut pas le temps de la presser ce coup-là non plus. Des cris aigus se mirent à crever le vide, des cris qui venaient manifestement de l’endroit où avaient été tirés les coups de fusil et qui n’avaient rien à voir avec le chant d’une grive. Gus ne bougeait pas. D’autres cris montèrent, évoluant en grognements d’animal, puis il y eut un troisième coup de feu et ensuite plus rien. Gus distinguait à peine la première rangée de pommiers ; Il attendit, sans rien pouvoir faire de plus, comme s’il espérait que quelque chose émerge du brouillard. Quelque chose qui se serait sauvé. Mais rien ne vint à lui, sinon le silence. Aucune grive ne se présenta plus. De toute façon, il n’aurait pas pu tirer. Il demeura pourtant encore un long moment sous les arbres et, quand il se décida enfin à bouger, il faillit se casser la figure, tellement ses muscles étaient gourds. La meilleure chose à faire, la plus raisonnable, aurait été de rentrer pour allumer un bon feu, se réchauffer et oublier ce qu’il avait entendu. Essayer.
[…]
Longtemps après, Gus se dirait qu’il n’aurait jamais dû baisser les yeux, mais on fait parfois des choses qui sont plus fortes que nous, quand l’instinct dicte sa loi…
Il y a des romans que l’on oublie et d’autres qui vous marquent de leur empreinte. « Grossir le ciel » fait partie de la seconde catégorie. De ceux qui laissent une marque indélébile, tant ils sont profonds et touchants. Et quand, de surcroît, le style adopté par l’auteur est irréprochable, il est impossible d’émettre un point négatif.
Dans ce récit, Franck Bouysse nous invite à partager le quotidien de Gus et Abel, les grands espaces, la nature, et surtout l’émotion avec un grand E. Une émotion qui atteindra son paroxysme quand, au détour d’une page, il y a la révélation de ce secret. Aussi surprenant qu’inattendu et que rien n’aurait laissé présager. Ce terrible secret, si douloureux qu'il laissera le lecteur pantois et le touchera au plus profond de lui-même.
En conclusion, un formidable roman noir d'une qualité rare.
- Le diable, il habite pas les enfers, c’est au paradis, qu’il habite.
Abel sortit la-dessus, en laissant sa réflexion se balader dans la pièce, tel un chien qui aurait perdu son maître. Le genre de truc qu’on balance en sachant que ça fera son chemin à coups de hache.