'Franco est mort jeudi' Maurice Gouiran
J.P Manchette disait du roman noir : ‘Le bon roman noir est un roman social, un roman de critique sociale qui prend pour anecdote des histoires de crime’.
Il naît véritablement aux Etats-Unis dans les années 1920 et ne connait son véritable essor qu’après la seconde guerre mondiale. Une des références en la matière reste incontestablement : ‘Moisson Rouge’ de Dashiell Hammet paru en 1932. Ce genre de la littérature policière est, pour moi, incontournable car il entraîne une réflexion permanente sur la Société ou des faits marquants de l’Histoire. J’ai eu le plaisir d’en chroniquer plusieurs sur ce blog. Des auteurs qui se sont adonnés à ce genre et qui sont à découvrir tels que : Antonin Varenne, Laurent Guillaume, Marin Ledun, Sébastien Doubinsky, Hervé Sard…
‘Franco est mort jeudi’ est, dans un premier temps, le récit de la vie de Manu à Marseille, cet homme qui sort de prison et qui doit maintenant affronter les soucis de la vie quotidienne : se mettre en quête d’un travail alors qu’il approche la cinquantaine et qu’il n’a aucune formation et qui voit les problèmes s’accumuler : la santé de son père qui se dégrade de jour en jour, un père avec qui il entretient des relations plus que houleuses, sa femme Agnès qui l’a quitté pour un autre et dont il est toujours éperdument amoureux, ses problèmes d’argent et son fils Patrice qui a de très gros ennuis. A tel point que sa vie ainsi que celle de sa mère seront en danger. Le jour où il reçoit une lettre de Madrid d’une femme qui se prétend être sa petite cousine : Paola Tarrades, sa vie va prendre un autre tournant. Il va, via cette lettre, découvrir une partie de la vie de sa mère qu’il ne connaissait pas. Celle qu’il adorait ne lui avait jamais rien dit même avant de le quitter pour toujours. Elle lui avait toujours déclaré, ainsi qu’à son père, ne plus avoir de famille. Alors, comment, dans ce cas, expliquer l’existence de cette petite cousine qui lui demande de venir le rejoindre à Madrid afin d’éclairer certains points ? Sceptique, il va dans un premier temps interroger son père et apprendre qu’Elisa était amie à l’époque avec 4 hommes dont il va essayer de retrouver la trace. Manu va apprendre que sa famille a tenu un rôle important dans le conflit Espagnol et découvrir un passé dont il était bien loin d’imaginer l’existence. A partir de l’annonce de la mort de Franco, la mère de Manu ressent le besoin d'écrire. Un devoir de mémoire afin que ces évènements ne tombent pas dans l'oubli. L’histoire d’une vie va alors s’ouvrir à Manu.
Le personnage central du roman deviendra rapidement Clovis Narigou, celui à qui fait appel Manu afin de l'aider. Clo n'est pas au bout de ses surprises...
‘J’ai voulu ensevelir les pages noires de mon enfance sous la poussière des ans, j’espérais que le temps qui passe en effacerait les réminiscences. J’étais persuadée d’être arrivée à mes fins, jusqu’à ce que l’annonce du décès de Franco-la-Muerte ouvre en grand les vannes de ma mémoire et me noie dans un flot mélangé d’images, de sons et d’odeurs de mon passé espagnol’.
Entre Marseille et Madrid, le lecteur aura également le loisir de voyager dans ces deux villes.
Ce roman retrace donc, en partie, la terreur qui a régné sous ce régime totalitariste et certaines horreurs qu’ont subies nombre d’hommes et de femmes dans les combats entre Républicains et Nationalistes sur une période allant de juillet 1936 à avril 1939. Un combat qui s'est soldé par la défaite des républicains et l'établissement de la dictature de Franco qui gouverna jusqu'en 1975. Un récit très documenté écrit par un auteur incontestablement à découvrir.
‘Franco est mort jeudi’ est un roman qui vous saisira dès les premières pages et qui, au-delà du contexte historique, soulève d’autres problématiques : la complexité des rapports humains, la transmission de la mémoire, les secrets de famille,…
‘En ce qui concerne mon fils, je me suis rendue compte que la transmission de la mémoire familiale était un sujet délicat. Regardez donc autour de vous. Ceux qui sont revenus de la guerre d’Algérie n’ont jamais vraiment pu en parler chez eux. Cette difficulté se trouve souvent aggravée par les turbulences familiales ou les torpeurs liées aux évènements. Et puis, entre nous, il est toujours délicat,
pour des parents, de relater à leurs enfants des drames au cours desquels ils ont été salis, humiliés ou avilis, de détailler les faits souvent dotés d’une dimension morbide.’
Ce roman a déjà été largement chroniqué sur de multiples blogs et tous les avis sont unanimes : il est excellent.
Editions Jigal / Livre de poche
392 pages
9,50 €
Maurice Gouiran, qui êtes-vous ?
Un homme qui a toujours eu le goût de l’écriture et qui s’est décidé à raconter des histoires à plus de 50 ans. Sans doute me fallait-il du temps pour me défaire d’une formation très (trop ?) scientifique (j’ai un doctorat en mathématique) et pour avoir suffisamment de détachement vis-à-vis des choses de la vie.
Votre trait principal de caractère ?
J’ai constamment des projets, l’envie d’apprendre et le souci de connaitre LA vérité.
Qu’est ce qui vous plait dans l’écriture ?
D’abord, la liberté. En fait, c’est surtout valable dans le monde du polar où tout est possible, tout est permis, aussi bien dans la forme que dans le fond.
Ensuite, les rencontres. Avec les témoins des évènements que je raconte, avec les lecteurs, avec les autres auteurs. Sur ce dernier point, c’est également un des atouts du polar. Il n’y a pas de concurrence entre les auteurs. Mieux, je sens une certaine fraternité dans le monde des écrivains de noir. Sans doute parce que nos motivations sont proches, même si les sujets paraissent parfois éloignés.
PS. Je parle de polar, pas de roman policier, en me référant à la définition de JP Manchette : « le roman policier voit le mal dans l’homme, le polar dans la société »
Qu’est ce qui vous a donné l’envie d’écrire ?
Le besoin de raconter des histoires. J’ai longtemps cru qu’un écrivain devait pondre LE livre de sa vie, un bouquin plein de philosophie, de grands principes et de hautes réflexions, et si possible mourir jeune.
Je me suis rapidement rendu compte que le lecteur désire avant tout qu’on lui raconte une histoire. J’ai donc eu envie d’écrire une histoire un peu déjantée, qui se lirait facilement, avec une intrigue qui captiverait le lecteur, qui se déroulerait dans des lieux et avec des personnages que je connaissais bien. Je tenais à être véridique et sincère, car les lecteurs détectent rapidement le manque d’authenticité.
Ça a donné « La nuit des bras cassés » en 2000. Mon premier roman qui a été récompensé par le prix Sang d’ Encre des lycéens. Depuis, 20 autres ont suivi…
Comment écrivez-vous ? Avez-vous des moments privilégiés dans la journée ?
J’écris quand je peux et surtout quand j’ai envie. Je ne suis pas soumis à une quelconque contrainte de productivité (même si je n’ai pas à me plaindre de ce côté-là, avec 21 romans en 12 ans). Cela fait partie de cette liberté que j’évoquais en réponse à la première question. Il m’arrive donc de passer des semaines sans écrire, puis de travailler d’arrache-pied. Car une bonne idée ne suffit pas, un roman se travaille, nécessite des heures de labeur, et demande 5, 10, 15 relectures pour le corriger et l’affiner.
3 qualités et défauts ?
3 qualités : j’ai constamment les sens en éveil, je cherche à savoir, j’ai le souci de l’authenticité.
3 défauts : j’aimerais que tout soit terminé dès la première rédaction pour pouvoir passer à autre chose, je manque d’attention, j’ai une sale tendance au dilettantisme (manque de rigueur)
Votre loisir principal ?
L’écriture, puisque ce n’est pas mon métier ! Je précise : l’écriture comprend une première phase de documentation et de recherche des témoins vivants qui est un véritable travail de détective, l’écriture proprement dite (avec l’invention d’un récit, d’une intrigue, de personnages), puis les relectures et les corrections (c’est cette dernière partie qui est la plus pénible)
Ce que vous détestez par-dessus tout chez un homme ? Et chez une femme ?
Chez un homme : la vanité, l’artifice, l’égoïsme
Chez une femme : le mensonge, la manque de naturel, le bavardage inutile
La même question mais avec ‘ce que vous préférez’
Chez un homme : la fraternité, l’humour, la solidarité
Chez une femme : la sincérité, la passion, l’humour
Votre devise ?
Je n’ai ni armoiries, ni devise, alors permettez-moi de vous citer celle de Clovis Narigou (héros de la plupart de mes polars) : « Femme qui rit a un pied dans mon lit » (à rapprocher du 2eme item de la question précédente !!)
Un livre en écriture ?
Toujours… Ce sera un polar qui se déroulera entièrement à Marseille, avec un côté historique moins développé que dans les 4 derniers (respectivement la guerre d’Espagne, la junte argentine, les ratonnades de 1973 et le massacre de Srebrenica). Un polar plus cool qui abordera cependant, comme dans tout polar, des problèmes de société.
Où trouvez- vous votre inspiration ? Et qu’est ce qui vous a donné l’idée d’écrire un roman sur ce sujet ?
Mon inspiration se trouve dans l’actualité ou les résurgences actuelles d’une histoire assez récente. Ainsi pour le futur, je me suis inspiré de la guerre des cliniques à Marseille (début des années 90), du parcours d’un serial killer américain qui a assassiné une centaine de personnes (je ne vous dit pas comment, cela déflorerait mon intrigue) et de mon opération de la vésicule biliaire !
Ecrivain est-il votre métier ? Et pouvez vous me parler de vos œuvres précédentes ?
Ecrivain n’était pas mon métier. Je suis un scientifique et j’ai œuvré dans l’informatique depuis ses débuts, lorsqu’on utilisait d’immenses armoires qui mangeaient des monceaux de cartes perforées. Je me suis spécialisé dans les systèmes d’information sur les incendies de forêts, ce qui m’a permis d’intervenir, comme consultant, pour le CEE et l’ONU et de parcourir d’une manière bien peu touristique des pays qu’on retrouve dans mes romans.
En ce qui concerne mes œuvres précédentes, il est difficile d’en parler précisément à cause de leur volume. Sachez que mon héros récurrent est un bistrot (de l’Estaque). J’ai publié aujourd’hui 21 polars sur des sujets très divers : la spoliation de biens sous l’Italie mussolinienne, le mystère du théorème de Fermat, le génocide des Arméniens, les extraterrestres, le milieu marseillais, l’assassinat de Kennedy, le colonialisme, la rente nucléaire en Polynésie, les zoos humains, les guerres coloniales, le trésor des nazis, le créationnisme, le collaboration, mai 68, l’épuration, l’accouchement sous X, la destruction des vieux quartiers à Marseille, la pauvreté, la phobie des épidémies, la Grèce des colonels, la mafia sicilienne, la résurgence du franquisme, les généraux argentins, la xénophobie…. Et après ça, on me traite toujours d’auteur marseillais !
Votre rêve le plus cher ?
Vivre dans un monde de fraternité.
Je vous remercie beaucoup pour avoir pris le temps de répondre à ces questions et suis impatiente de découvrir votre prochain roman.