"Les visages écrasés" de Marin Ledun
Une critique, ce ne sont pas simplement quelques mots que l'on pose sur le papier. Une critique se travaille, elle se doit d'être constructive. Elle doit donner envie de lire, d'acheter le roman dont on parle, ou pas.
Il y a des romans qui se critiquent facilement, plus facilement que d'autres. "Les visages écrasés" en font partie.
Vous qui êtes lecteur ou lectrice, comment s'orientent vos choix en matière de lectures, qu'est-ce qui vous donne envie de lire tel ou tel roman ?
Personnellement, je recoupe les informations, je lis les différents avis des blogueurs, je prends conseil auprès de mes ami(e)s ; passionné(e)s comme moi. Et surtout, je suis à l'écoute, toujours à la recherche de nouveaux auteurs.
"Les visages écrasés" fait partie des romans qui interpellent, de ceux que l'on peut raconter tant ils sont riches d'enseignement.
L'auteur nous dépeint ici le monde du travail tel qu'il est, sans faux semblants, avec les malaises que nous pouvons tous éventuellement ressentir.
"Fascinée, je contemple de nouveau le semi-automatique. L'idée me traverse l'esprit de la retourner contre moi mais, encore une fois, Vincent n'est pas le problème. Il le sait, je le sais. Le problème, ce sont ces fichues règles de travail qui changent toutes les semaines. La tension permanente suscitée par l'affichage des résultats de chaque salarié, les coups d'oeil en biais, les suspicions, le doute permanent. La valse silencieuse des responsables d'équipes, toujours plus jeunes et plus inflexibles. L'infantilisation, les sucettes comme récompense, les avertissements comme punition, les objectifs inatteignables. Les larmes qui coulent parfois pendant des heures, une fois seul, mêlées à une colère froide qui rend insensible à tout le reste. Les injonctions paradoxales, la folie des chiffres, les caméras de surveillance, la double écoute, le flicage, la confiance perdue. La peur et l'absence de mots pour la dire. Le problème, c'est l'organisation du travail et ses extensions. Personne ne le sait mieux que moi. Vincent Fournier, 13 mars 2009, mort par balle après injonction de Sécobarbital, m'a tout raconté. C'est mon métier, je suis médecin du travail. Ecouter, ausculter, vacciner, notifier, produire des statistiques. Mais aussi : soulager, rassurer. Et soigner. Avec le traitement adéquat."
Tout au long de ce récit, on se demande qui souffre le plus : les patients salariés du Dr Matthieu ou le Dr Carole Matthieu elle-même ? Au moins, eux se confient. Ils vont voir leur médecin du travail, il essaient de se soigner, tant bien que mal. Carole Matthieu, elle, va mal, très mal, peut-être encore plus que ceux et celles qu'elle reçoit quotidiennement dans son cabinet. Et il s'agit alors d'une très longue descente aux enfers à laquelle nous assistons.
Ce roman ouvre une réflexion permanente sur ce que chacun peut vivre quotidiennement sur son lieu de travail ; et l'on ne peut s'empêcher de penser au malaise qui règne dans certaines entreprises dont les médias parlent malheureusement trop souvent, au regard du taux élevé de suicides.
La souffrance, le mal être, le mal de vivre sont décrits et ressentis à chaque page et je qualifierai ce roman "d'agitateur de conscience" ; à toutefois ne pas mettre entre toutes les mains, car il s'agit là d'un roman noir, voire très noir.
Un livre bouleversant de réalité, criant de vérité.
Marin Ledun est un auteur qui n'en est pas à son "coup d'essai". Il a en effet déjà publié sept romans dont, entre autres, "La Guerre des Vanités" qui obtient en 2011 le Prix Mystère de la Critique. Né en 1975, il vit aujourd'hui dans le sud ouest de la France et est écrivain à plein temps après avoir été ingénieur de recherche à France Télécom de 2000 à 2007.
Il compte vraiment parmi les auteurs à connaître et à suivre.