"Le sang versé" Asa Larsson
L’une des portes bleues du clocher est grande ouverte. Pia descend de son vélo et le gare contre la paroi en bois.
Comment se fait-il qu’elle ne soit pas fermée, se dit-elle en allant lentement vers la première porte.
Elle entend un bruissement à l’orée du bois de bouleaux qui longe le chemin du presbytère. Son cœur se met à battre un peu plus fort dans sa poitrine, elle s’arrête et tend l’oreille. Allons, ce n’était qu’un léger froissement dans les feuillages. Sans doute un écureuil ou un campagnol.
Mais la deuxième porte n’est pas fermée non plus. Elle voit au travers du clocher que la porte de l’église est ouverte.
A présent, son cœur bat la chamade. Sune peut à la rigueur avoir oublié de fermer la porte du clocher si, à l’instar de la moitié du village, il a trop levé le coude pour fêter le solstice d’été. Mais il n’aurait pas laissé la porte de l’église ouverte.
[…]
Elle descend l’allée en courant, passe de l’autre côté du balcon et découvre le corps suspendu devant les tuyaux de l’instrument et le signe sami, le symbole cher aux autochtones lapons, qui a la forme d’un soleil et qui l’orne en son centre.
Le cadavre est accroché à une corde, non, pas une corde, une chaîne.
Elle distingue maintenant les taches brunes sur le tapis, à l’endroit où elle a ramassé le caillou tout à l’heure.
Du sang. Est-ce vraiment du sang ? Elle se baisse à nouveau. Elle comprend que ce qu’elle avait pris pour un caillou et qu’elle tient encore entre ses doigts n’est pas un bout de pierre mais un bout de dent. Elle se relève précipitamment, regarde le fragment blanc dans sa main et le jette loin d’elle, horrifiée.
[…]
« C’est Mildred, cire-t-elle dans le téléphone. C’est Mildred qui est accrochée là. Elle est pasteur dans cette paroisse. Mon Dieu ! Elle est salement amochée !
[…]
Finalement, ils l’ont eue, se dit-elle.
Ses mains se mettent à trembler. La cigarette lui échappe. Les salauds. Ils l’ont eue.
C’est à 145 kilomètres du cercle polaire, dans l’atmosphère crépusculaire du grand nord, un petit village aux environs de Kiruna, que Mildred Nillson, est retrouvée morte.
Rebecka Martinsson, avocate en mission pour son cabinet, retourne sur les traces de son passé. La découverte du corps présente des similitudes avec un autre meurtre.
Œuvre d’un copy cat ? Vengeance personnelle ? Folie passagère ? C’est ce que tentera de découvrir la police représentée par les inspecteurs Sven Erick Stanalcke et Anna Maria Mella. Mais ils ne pourront, dans un premier temps, qu’échafauder des hypothèses, ne disposant d’aucun élément tangible. Ils devront donc fouiller dans le passé de cette femme qui, de part ses convictions et ses agissements, ne s’était pas attirée la sympathie des paroissiens. Des secrets seront alors déterrés et le lecteur découvrira la face cachée de Mildred Nillson.
Une enquête dans la pure tradition des polars Nordiques. Peu de rebondissements mais des personnages très travaillés et une écriture très imagée où il fait bon se perdre au fil des mots. Les descriptions et la communion avec la nature y sont remarquables.
Elle réfléchit à l’offre de la forêt, pensa aux grands pins élancés, à leurs troncs de cuivre frappé. Au vent ruisselant dans les cimes comme de l’eau. Aux sapins d’un noir de suie mangés de lichen barbu. Au bruit de ses pas sur le cladonia et la bruyère, au toc-toc des pics épeichettes, au silence profond qui succède au passage d’un animal sauvage, au doux froissement des aiguilles de pin et au craquement léger des brindilles.
On marche et on marche. Au début, la pensée est comme un écheveau emmêlé, les branches vous griffent le visage et s’accrochent à vos cheveux. Et puis, peu à peu, les fils se démêlent, se détachent, restent accrochés aux arbres, s’envolent dans la brise. Bientôt on a la tête vide et on se contente d’avancer. On traverse les marais fumants aux lourds effluves où le corps devient moite et où les pieds s’enfoncent. On gravit un escarpement et là-haut, sur le plateau, le vent souffle plus fort. Les bouleaux nains, phosphorescents, semblent ramper sur le sol. Arrivé là, on se couche. Et la neige se met à tomber.
Un soleil d’or rose descend sur les douces collines comme une cloche de lumière. Un bateau qui fait la balade entre les îles de l’archipel glisse dans le chenal. Les roseaux sur la berge bruissent dans l’air du soir et leurs têtes de velours se confient des secrets. Les conversations et les rires portent loin sur l’eau.
Les fourrés lui faisaient penser à de gros oreillers colorés. Elle s’imaginait les buissons d’airelles avec leurs feuilles d’un vert sombre et brillant et les myrtilliers avec leurs fruits verts virant timidement au rouge.
Viens t’allonger ici, lui chuchotait la forêt. Viens poser ta tête sur le sol de bruyère pour regarder par-dessous les arbres se balancer dans la brise du soir.
Le lecteur y découvrira l’émotion avec un grand E, la poésie, la souffrance, le remords, les regrets. Les rapports humains y sont passés au crible. Rien n’est laissé au hasard. Ana Larsson a le sens de la précision. Elle remonte le temps telle une pendule dont les aiguilles tourneraient à l’envers. Les fantômes du passé viendront souvent hanter les protagonistes et surtout Rebecka Martinsson qui foulera de nouveau les terres de son enfance. Emergeront alors une foule de souvenirs.
Au-delà de l’intrigue, c’est une atmosphère dans laquelle Asa Larrson plonge le lecteur qui ne pourra qu’être séduit par ce formidable voyage sur les terres Suédoises ; et plus particulièrement dans la petite ville de Kiruna, située à proximité du cercle Arctique et où le soleil ne se couche jamais entre juin et juillet.
Asa Larsson est née le 28 juin 1966. Avant de consacrer sa vie à l’écriture, elle exerçait la profession d’avocat fiscaliste qu’elle partage avec l’héroïne de ses romans : Rebecka Martinsson.
Elle est la découverte du festival Quais du Polar et sera l’une des invitées de cette dixième édition qui se tiendra à Lyon du 4 au 6 Avril prochains.
La presse en parle :
"Un livre virtuose qui vous plonge dans l’atmosphère du grand nord."
Kirjus Reviews (USA)
"Fascinant… Les fans de Henning Mankell, Karin Fossum et Arnaldur Indridason y trouveront leur compte."
Publishers Weekly (USA)
"Asa Larsson a autant de talent pour décrire des scènes pétrifiantes que pour se mettre à la place de ses personnages."
Washington Post (USA)
Editions Albin Michel
470 pages
Traduit du suédois par Caroline Berg
Sortie en librairie le 3 Avril
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