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Férue de littérature policière, mes goûts sont très éclectiques : romans noirs, romans à suspense, thrillers, thrillers psychologiques ou polars. Face à la profusion d'ouvrages de littérature policière, il est parfois bien difficile de faire son choix. Je vous donne donc mon avis quant à mes lectures.

03 Jul

"La faux soyeuse" Eric Maravelias

Publié par Les Polars de Marine

Mes réveils se ressemblent tous, désormais. Je suis baigné d’humeurs poisseuses et dans mon corps, mille douleurs commencent à frémir, pâle avant-goût de la torture profonde, des tourments indicibles à venir. Immanquablement, mes yeux s’ouvrent sur le halo grisâtre qui m’entoure, puis la mémoire me revient, charriant dans son lit boueux tant de tableaux immondes que je pense en mourir chaque fois. Très vite, mes entrailles se déchirent et entre mes lèvres sèches, morve et larmes mêlées se glissent. Je suis là, seul, baigné d’une aube au goût de sel. Je ne pleure pas, non. C’est tout mon être qui se liquéfie, broyé par l’étau de cette insupportable absence de came. Anéanti par la maladie.

Constat d’un homme détruit. Par un poison douloureux et violent : la came.  Retranscription d’une douleur sourde : la « putain blanche ».

Le ton est donné dès les premières pages. Un roman dur et noir. Très dur, très noir, terriblement dur, terriblement noir. Mais de ceux qui vous remuent, qui vous font chavirer et basculer dans le néant.

Corps à corps avec le narrateur. Combat où il n’y aura ni gagnant ni perdant mais dont vous ne ressortirez pas indemne. Vous serez happés par cette tristesse sourde, cette solitude pesante et envahissante.

Vous voyagerez dans l’autre Paris, pas celui de la ville lumière mais celui de l’ombre, celui de ceux pour qui tous les jours se ressemblent, ceux dont le lendemain ne chante pas et pour qui le quotidien est un combat permanent. Ceux des laissés pour compte où violence, argent et rapports de force sont le lot quotidien.

Le monde de la dépendance, de l’addiction qui finit par faire faire n’importe quoi.

J’ai vu, et même connu, plusieurs gonzesses, et pas des putes mais des jeunes filles de bonne famille, comme on dit, commencer à toucher à la dope, s’accrocher, et finir par tailler des pipes au dealers pour un paquet. J’ai vu des couples venir acheter leur came avec leur nouveau-né et qui se shootaient dans leur caisse, se passant le môme à tour de rôle. Comment ne pas être dégouté ? Mais les pleureurs sont des faibles, à la base. Ils n’ont pas le courage d’aller chercher l’oseille en prenant des risques ou de souffrir en silence. Ils tapent papa et maman, la grand-mère, demandent une pointe aux toxicos quand il faut les emmener sur un plan et qu’ils ont une caisse. Ils vendent leur chaîne stéréo ou volent leurs proches et ainsi de suite, tout le reste à l’avenant. Des plans de bouffons. Des caves, en vérité. Perdus au milieu des loups.

Vous voyagerez avec lui : Franck, dit Eckel.

Avec eux : les autres, les compagnons d’infortune : Momo, Rachid, Traoré,… et tant d’autres que l’on ne peut tous les citer. Beaucoup ne seront plus là à la fin du récit, partis avec la putain blanche comme dernière compagne.

Et enfin, vous voyagerez avec elle :  Carole. Un rai de lumière dans cet univers si sombre. 

Le tout desservi par une narration de qualité et une écriture vive ou pesante, selon la situation.

 

Le roman noir est beaucoup moins vendeur que le thriller ou le roman policier. Il n'y a, la plupart du temps, pas ou peu d'intrigue et le contexte est particulièrement sombre comme l'indique ce genre. Alors, certes, il faut accepter de se plonger dans cet univers particulier où les filtres de lumière sont bien minces mais, dans la majorité des cas, ils en valent la peine. Soulevant un problème de société, il nous font prendre conscience de beaucoup de choses. Dans le cas présent, nous savons ce qu'est la drogue et connaissons les conséquences de son effet dévastateur. Mais nous ne faisons toutefois que l'imaginer. Avec "La faux soyeuse", le lecteur vit cette addiction de l’intérieur. C'est un véritable témoignage que nous livre Eric Maravelias. La volonté farouche de ce sortir de cet enfer, d’exorciser cette « saloperie ». 

Le retour est un véritable chemin de croix. A peine sorti de chez le fourgue, je me mets à gerber. De la bière et du whisky. Et de la bile. Je n’ai rien avalé de la journée et les spasmes cherchent à m’arracher le cœur des entrailles. J’en ressors tout tremblant, le visage jauni par mon foie dévasté et le souffle court. C’est toujours pareil, il suffit que je sois dans cet état pour que la terre entière se ligue contre moi. C’est d’abord le bus qui me passe sous le nez alors que j’arrive exténué à l’arrêt. J’attendais planqué dans l’impasse et je ne l’ai pas vu arriver. J’ai beau croiser le regard du conducteur, ce fils de pute ne s’arrête pas et je reste là, debout sur le bord du trottoir avec une envie de chialer que je réprime, frissonnant de rage, de dépit et de frustration.
Le manque est quelque chose de si particulier. Il provoque un profond sentiment de désastre, de désespérance et d’angoisse. De façon rapide, en l’espace de quelques heures, vous tombez dans une dépression sans égale, sans comparaison. Ce que vous êtes, tout ce qui vous entoure, les choses comme les gens, se transforment en monstres aberrants, effrayants. Vous aimeriez mourir dans l’instant, mais cela n’est pas possible, bien entendu, et vous vous demandez ce qui vous retient encore de vous laisser tomber sur le sol pour tenter de vous y enfoncer, d’échapper à ce qui vous hante et ne vous laisse aucun répit. Dans ces moments-là, personne ne peut rien pour vous. Cette pute vous harcèle, hurlant des obscénités et vous broyant les chairs. Alors peu importe ce qu’il y a dans vos poches et ce qui peut bien vous attendre chez vous. Seul cet instant de démence compte. Il efface et rend insignifiant tout ce qui n’est pas lui. Il ignore le futur, en revanche, il fouille dans votre cœur à la recherche de ce qu’il y a de pire en vous, à l’affût du moindre sentiment de douleur passé. Alors il l’extirpe brutalement, vous dépèce et vous balance au visage ce que vous aviez enfoui et caché bien profondément. Il ravive votre mémoire et appuie là où ça fait mal. Ecorche là où c’est encore à vif. C’est dans ces instants de folie pure, d’intransigeante nécessité, que les camés basculent et sont capables de tout.

Noir, sombre, violent, cruel. Non de part la cruauté des mots, mais de part l’ambiance. Les portes d’un monde dont on vous a parlé mais que vous ne connaissez pourtant pas s’ouvriront à vous. Vous lirez la situation de ces exclus de la Société qui risquent à tout moment de perdre la vie ou qui l’ont déjà perdue. Et ce roman ne pourra que vous bouleverser. 

Un exutoire supplémentaire et nécessaire pour l’auteur ? Peut-être. Probablement même. Mais je serais tentée d’ajouter : tant mieux. Et ce, même si celui-ci reste un roman et si l’auteur se défend d’être Franck et d’avoir vécu tout ce qu’il a vécu. L’essentiel étant d’être parvenu à se sortir de cet enfer.

 

 

Série Noire - Gallimard

253 pages

16,50 euros. 

"La faux soyeuse" Eric Maravelias
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Férue de littérature policière, mes goûts sont très éclectiques : romans noirs, romans à suspense, thrillers, thrillers psychologiques ou polars. Face à la profusion d'ouvrages de littérature policière, il est parfois bien difficile de faire son choix. Je vous donne donc mon avis quant à mes lectures.