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Férue de littérature policière, mes goûts sont très éclectiques : romans noirs, romans à suspense, thrillers, thrillers psychologiques ou polars. Face à la profusion d'ouvrages de littérature policière, il est parfois bien difficile de faire son choix. Je vous donne donc mon avis quant à mes lectures.

29 Oct

"Yeruldelgger" Ian Manook * Coup de coeur

Publié par Les Polars de Marine

"Yeruldelgger" Ian Manook *     Coup de coeur

Première affaire : un petit tricycle rose et le corps d’une fillette sont déterrés.

- Alors, commissaire ? osa le policier du district.
- Alors c’est une pédale. Une pédale de petite taille. Je suppose que tu as déjà vu une pédale, policier ?
- Oui, commissaire. Mon fils a un vélo.
- A la bonne heure, soupira Yeruldelgger, alors tu sais ce que c’est qu’une pédale !
- Oui, commissaire.
En face d’eux, la famille de nomades accroupis en rang d’oignons écoutait leur échange en souriant. Derrière, on apercevait leur yourte blanche, et tout autour la steppe verdoyante ondulée par le vent à perte de vue jusqu’à l’horizon bleu des premières collines. On ne distinguait même pas la piste étroite par laquelle le petit tout-terrain russe les avait bringuebalés jusqu’à la yourte.
Yeruldelgger posa ses puissantes mains bien à plat sur ses cuisses, à la manière des sumos japonais, et rentra la tête dans les épaules pour se forcer à contenir la colère qui montait.
- Et c’est pour ça que tu m’as fait venir ?
- Oui, commissaire…
- Tu m’as fait faire trois heures de piste depuis Oulan-Bator pour une pédale qui sort de terre ?
- Non, commissaire, c’est pour la main !
- La main ? Quelle main ?
- La main sous la pédale, commissaire.
- Quoi ? Il y a une main sous cette pédale ?
- Oui, commissaire, là, sous la pédale, il y a une main !
Sans se relever, Yeruldelgger se tordit le cou pour regarder par en dessous le visage du policier du district. Est-ce que ce type se foutait de lui ?
Mais le visage du policier ne reflétait aucune émotion. Aucun signe d’humour. Aucune trace d’intelligence. Rien qu’un visage respectueux de la hiérarchie et satisfait de sa propre incompétence. Pour éviter d’exploser, Yeruldelgger reporta toute son attention sur l’objet dont la présence prenait maintenant un sens bien plus dramatique. Le bout d’une petite pédale qui dépassait du sol, un peu de travers, par rapport à l’horizon, mais avec maintenant une main en dessous !
- Et comment tu sais qu’il y a une main là-dessous ?
- Parce que les nomades l’ont déterrée, commissaire, répondit le policier.
- Déterrée ! ? Comment ça, ils l’ont déterrée ? s’emporta sourdement Yeruldelgger.
- Ils l’ont déterrée, commissaire, Ils ont creusé autour et ils ont enlevé la terre. Quand les enfants ont aperçu la pédale qui sortait de terre en jouant, ils ont creusé pour la dégager, et en creusant ils ont découvert la main.
- Une main ? Ils sont sûrs ? Une vraie main ?
- Une main d’enfant, oui, commissaire.
- D’enfant ?
- Oui, commissaire, une petite main. Petite comme celle d’un enfant.
- Et elle est où, cette main d’enfant maintenant ?
- En dessous, commissaire.
- En dessous ? En dessous de quoi ?
- En dessous de la pédale, commissaire.
- Tu veux dire qu’ils l’ont réenterrée ? Ils ont réenterré la main ?
- Oui, commissaire. Et la pédale aussi, commissaire…
Yeruldelgger releva les yeux vers la famille de nomades aux deel bariolés toujours assis en ribambelle contre le bleu saturé du ciel. Ils le regardaient en hochant tous la tête avec de grands sourires pour confirmer le rapport du policier du district. Il se tordit le cou à nouveau pour regarder le flic local par en dessous.
- Ils ont tout réenterré ! J’espère que tu lui as demandé pourquoi !
- Bien sûr, commissaire : pour ne pas polluer la scène de crime….

Seconde affaire : Trois chinois sont retrouvés dans une usine, nus, le front troué d’une balle, le corps tailladé de coups de cutter et émasculés.

 

Troisième affaire : deux femmes pendues, un signe satanique identique à celui trouvé sur le corps des deux chinois.

 

Donc on a les deux bazars qui manquaient à nos Chinois, les deux femmes du septième mois, les mêmes symboles diaboliques, des victimes à poil partout, et en plus deux crânes rasés. Eh bien, tout s’arrange, non ?

 

Ce sont des protagonistes hauts en couleurs et au caractère fort et déterminé que l’auteur a choisi de mettre en scène :

 

  • * Yeruldelgger, commissaire de la criminelle, flic coriace qui porte le poids de ses blessures : sa petite fille assassinée par des bandits, sa fille aînée droguée et tombée sous la coupe de malfrats et qui éprouve une haine farouche vis-à-vis de son père ; et sa femme, n’ayant supporté la douleur, qui a sombré dans la folie. Un personnage usé et meurtri et qui doit vivre avec le chagrin permanent. Souvent utilisé dans l’écriture de certains romans policiers, le sentiment de déjà vu aurait pu lasser. Et pourtant, il faut avouer que, dans le cas présent, il fonctionne très bien, à tel point que l’on parviendrait même à s’attacher à ce personnage de papier. Un homme qui n’a plus rien à perdre, la vie lui ayant tout pris, un homme à la carapace en apparence solide et fort comme un roc, qui ne veut en aucun cas laisser transparaître ses émotions et que l’on pourrait croire dénué de tout sentiment humain à l’égard de ses semblables. Sauf pour ceux qui le connaissent et qui savent que derrière cette « grande gueule », derrière cette force de caractère, se cache avant tout un être humain.

Un homme prêt à tout pour affronter la réalité et tenter de découvrir qui sont les meurtriers liés à ces trois affaires. Mais avant tout, il devra apprendre à combattre et à exorciser cette douleur qui a petit à petit mué en haine. Et c'est une terrible machination à laquelle il devra faire face.

 

  • * Solongo, la médecin légiste dont il partage le quotidien mais dont il ne veut en aucun cas devenir l'amant. Par crainte d'aimer de nouveau, de s'engager et de souffrir. Admiration, respect mutuel, les liens se sont resserrés entre cet homme et cette femme et consolidés au fil des années quand ils se sont rencontrés lors de l’autopsie de la petite fille de Yeruldelgger.

* Oyun, une femme au caractère bien déterminé et qui met un point d'honneur à aller jusqu'au bout de ses convictions sans crainte d'affronter le danger.

 

* Gantulga, ce jeune garçon au courage hors du commun. Un "partenaire" un peu particulier.

 

 

« Yeruldelgger » est un roman :

 

  • * qui vous emmènera en Mongolie, pays enclavé entre la Russie et la Chine, terre de contrastes souvent surnommée « le pays au ciel bleu »,
  • * qui vous fera voyager dans une contrée différente et découvrir des lieux inconnus,
  • * où les traditions se respectent et où certains mots ne peuvent être prononcés, certains vérités étant trop douloureuses et se devant d’être adoucies,
  • * où l’on découvre un pays où la nature a toujours ses droits, des étendues désertiques et des paysages presque lunaires et où ses habitants se font un honneur de préserver la richesse du patrimoine naturel et culturel,
  • * où l’humour est présent. Et ce, malgré toute la tristesse et l’émotion.
"Yeruldelgger" Ian Manook *     Coup de coeur
"Yeruldelgger" Ian Manook *     Coup de coeur
"Yeruldelgger" Ian Manook *     Coup de coeur
"Yeruldelgger" Ian Manook *     Coup de coeur
"Yeruldelgger" Ian Manook *     Coup de coeur
"Yeruldelgger" Ian Manook *     Coup de coeur

Mais surtout, un roman où le talent de l'auteur se conjugue au  plaisir du voyage. Un style très littéraire et des dialogues travaillés apportent un plus au récit. Un roman où l'on croise le chemin d'hommes auxquels on ne fait pas appel mais qui viennent à la rencontre des personnages, dotés de ce pouvoir dont eux seuls déclarent détenir les clefs. Ces hommes respectueux des codes et des traditions. Un roman où l'on découvre la force des chamanes. 

 

Quant à la fin, quel bonheur de voir qu'elle laisse présager une suite !

 

 

En résumé, une réussite totale qui sera, en ce qui me concerne, mon troisième coup de coeur de l’année.

 

 

 

L'auteur

 

 

 

Editions Albin Michel

542 pages

22 €

 

"Yeruldelgger" Ian Manook *     Coup de coeur
"Yeruldelgger" Ian Manook *     Coup de coeur

Coup de coeur

Commenter cet article
G
Je viens de finir ma lecture et, comme toi, je suis tombé totalement sous le charme de ce bouquin. Un polar absolument magnifique, un des meilleurs livres de l'année pour moi également
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M
Le contraire m'aurait étonnée. Ce roman est envoûtant et passionnant. <br /> Ravie de voir que nous sommes tous les deux sous le charme de cette lecture.
Y
un coup de coeur pour moi aussi, un bouquin excellent qui fait même totalement oublier les quelques stéréotypes inhérents au genre
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M
Excellent est le mot juste . Je suis d'accord avec toi Yv.
I
Bonjour Marine,<br /> j'ai été très sensible à votre critique. Non seulement parce qu'elle est élogieuse, mais surtout parce qu'elle révèle une lecture attentive et en profondeur de mon roman.Comme vous le savez peut-être, je suis arrivé au roman noir à la suite d'un défi : écrire deux livres par an, dans des registres et sous des pseudos à chaque fois différents. Yeruldelgger est le quatrième livre de ce défi mais, si les deux suivants étaient déjà en cours d'écriture, il semble bien qu'il va marquer la fin de cette aventure. J'ai mis entre parenthèses les deux autres livres ( un roman &quot;de société&quot; et une fresque historique) pour me consacrer désormais à la suite de Yeruldelgger dont, je dois l'avouer, je suis tomber amoureux (au sens littéraire du terme, bien entendu). J'en suis déjà à 300 pages, et j'ai prévu de le terminer pour la fin 2013. De toute évidence, je vous en réserverai quelques exclusivités si cela entre dans le cadre de votre blog. En attendant, si vous désirez quelque chose de moi ( entrevue, biographie…) n'hésitez pas à me le demander, c'est avec plaisir que je vous répondrai. J'ai par ailleurs d'ores et déjà partagé le lien de votre critique sur ma page Facebook.<br /> Encore merci, et à très bientôt<br /> Ian Manook
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M
Bonsoir Ian,<br /> <br /> Dans ce cas, nous sommes deux à être 'amoureux' de ce personnage. Je ne savais pas que vous aviez déjà écrit d'autres romans sous pseudo.<br /> J'ai toujours pour habitude de dire ce que je pense et mes critiques sont loin d'être toutes élogieuses mais il faut avouer que, en ce qui concerne ce roman, cette découverte a été un réel bonheur littéraire.<br /> Etant Parisienne, je viendrai probablement écouter votre présentation sur Paris ou en région. <br /> En attendant, je vous remercie pour ce très beau voyage qui fait découvrir ce pays trop méconnu.<br /> A bientôt.
G
Je viens d'acheter ce livre et ton avis ne fait que me conforter dans l'idée que je vais passer un moment assez unique ;-)
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M
Je l'espère également. En tout cas j'attends ta chronique et ton avis avec impatience.

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