Conversation avec Guillaume Lefebvre
Auteur de quatre romans policiers publiés chez "Polars en Nord" : "Les inconnus du Saint-François" (2011), "Le naufragé de la baie de Somme" (2012), "L'affaire Agathe Vanders" (2013) et "Vogue la colère" (2014), Guillaume Lefebvre exerce la profession de capitaine de navire.
A travers les aventures de son héros Armand Verrotier, l'auteur plonge son lecteur dans des ambiances maritimes. L'atmosphère de ses romans n'est pas sans faire penser à certains romans policiers anglais. Son style est efficace, ses personnages toujours attachants, ses intrigues bien construites.
Piquée par la curiosité de cette profession un peu particulière et très agréablement surprise par les deux ouvrages que j'ai chroniqués, j'ai donc cherché à en savoir un peu plus sur cet auteur que je vous recommande très vivement.
Guillaume Lefebvre sera en dédicace le Samedi 16 Mai prochain au salon du livre d'Eu (Normandie) de 10h à 12h30 et de 14h à 18h.
Bonjour Guillaume, qu'est-ce qui vous plait dans l'écriture et pourquoi ressentez-vous le besoin d'écrire ?
Lorsque certains faits inconnus du grand public vous révoltent, vous avez deux solutions : faire semblant de ne rien voir et vous taire, ou alors les dénoncer en espérant toucher un maximum de personnes. Si vous optez pour le second point, vous pouvez présenter votre dossier à un journaliste, en espérant le convaincre pour qu’il en fasse un article. Cette opportunité m’est impossible, car une clause de mon contrat de travail me l’interdit. Alors, j’ai cherché un autre moyen d’action, le thriller me semblait être le meilleur. C’est ainsi que mes romans parlent de ces marins qu’on laisse mourir sur un chalutier à la dérive, d’additifs cancérogènes dans les hydrocarbures, de la disparition de déchets toxiques, des séminaires des grands laboratoires pharmaceutiques…
L’écriture est un formidable moyen d’expression et de communication. La diffusion permet de toucher des inconnus. J’ai régulièrement des retours, un lecteur ou une lectrice me parle de mes romans lors d’un salon, une dédicace ou sur les réseaux sociaux. Armand Verrotier, mon protagoniste, reçoit même du courrier. Cette inclusion de la fiction dans la réalité est toujours un moment magique.
Je navigue à bord de navires de la marine marchande inscrits au Registre International Français. Depuis qu’il a été créé, ce pavillon s’est généralisé au long cours, la loi n’impose que deux Français à bord, dont le capitaine, les autres membres de l’équipage sont Roumains, Philippins ou Africains. Chacun comprendra aisément que les communications à bord sont difficiles entre personnes de différentes cultures. Pourtant, il est indispensable de s’évader après le travail. Pour moi, c’est la gymnastique, la lecture et l’écriture. Dès que je peux, je retrouve mes personnages de romans là où je les avais laissés. À partir de ce moment, plus rien d’autre n’existe autour de moi, je vis les aventures d’Armand Verrotier.
Comment trouvez-vous votre inspiration ?
J’ai la chance de faire un métier dans lequel je rencontre beaucoup de personnes atypiques. Chacune a son histoire et j’aime en discuter avec eux. Si le sujet m’intéresse, je prends des notes, j’approfondis et je fais des recherches. Je n’hésite pas à me déplacer très loin pour aller vérifier sur place. C‘est souvent très difficile, car plus les personnes sont impliquées, moins elles sont loquaces. Il m’arrive souvent d’interroger des agents d’entretien. Un auteur de romans policiers doit mener une véritable enquête s’il veut rester crédible. Chacun imagine l’écrivain confortablement assis devant son feu de bois, ce n’est pas mon cas. J’aime le travail de terrain, il représente plus de la moitié du temps passé.
Comment écrivez-vous ? Avez-vous un plan ou écrivez-vous au gré de l’inspiration ?
Je suis un scientifique, donc un inconditionnel du plan. Dès que le sujet est arrêté et mon enquête de terrain fructueuse, je construis l’intrigue. C’est un travail très important. Je remplis des centaines de feuilles avec des organigrammes dignes d’un véritable programme informatique. Mon but est d’amener le lecteur à réfléchir sur les points que j’ai choisis. Pour cela, je dois les dissimuler dans l’enquête afin qu’il les déniche sans vraiment s’en rendre compte. L’effet de surprise est primordial.
Pour construire mes personnages, j’observe, à leur insu, des personnes bien réelles et je m’inspire de leur façon de penser, d’agir, de marcher et de parler. À moi ensuite d’imaginer leur comportement dans les situations dans lesquelles je les place. Quand le roman est édité, je leur donne un exemplaire pour les remercier, ils sont souvent surpris.
Lorsque l’intrigue est réglée et les personnages créés, je commence le travail d’écriture. Il me suffit alors de suivre le plan établi et de faire vivre le roman. C’est la partie la plus tranquille, je dois être dans un état de quiétude absolue pour me concentrer. Une vue sur la mer et de la musique classique et c’est parti…
Je pense qu’un roman se construit un peu comme une maison. Les fondations sont les sujets, la charpente est l’intrigue, les murs représentent la structure, la décoration est le style et la famille qui y habite anime l’ensemble. Le tout est de trouver le meilleur équilibre.
On a pour coutume de dire que les auteurs mettent souvent une part d’eux-mêmes dans leurs romans. Est-ce votre cas ?
Armand Verrotier est l’homme que j’aimerais être. Il fait le même métier que moi et nous avons beaucoup de points communs. Lorsqu’il se trouve face à une situation, je me demande comment je réagirais à sa place. Beaucoup de lecteurs me disent qu’il a évolué au fil des romans, c’est bien possible, car depuis que j’écris je me sens beaucoup plus à l’aise dans la vie. Je pense, comme beaucoup d’auteurs, que l’écriture a un pouvoir thérapeutique.
Ressentez-vous le besoin, à travers vos ouvrages, de transmettre un message ?
Je ne suis pas un écrivain professionnel, ce qui me laisse beaucoup de libertés. Comme celle de choisir mon sujet, ou d’écrire au rythme qui me plait et quand j’ai envie. Mon éditeur n’a jamais rejeté un de mes romans sous prétexte que le sujet lui faisait peur.
A la lecture de vos romans, on ressent parfaitement votre amour inconditionnel pour la mer.
Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?
Le métier de marin au long cours est très complet, et les responsabilités sont importantes. Nous devons être au top en sécurité, sureté, technique et en management aussi. C’est très valorisant d’avoir réussi à mener le navire à bon port en temps et en heure après maintes péripéties, comme du mauvais temps ou des pannes diverses. À bord, je dois être à l’écoute du personnel, certains ont des problèmes familiaux très graves et ne peuvent pas débarquer. C’est très difficile pour eux. C’est encore plus dur de se confier à un étranger, car nous sommes plusieurs nationalités à bord, donc plusieurs cultures. Lorsqu’un cyclone a ravagé certaines îles des Philippines, des marins avaient tout perdu. Leur maison était détruite et des membres de leur famille étaient décédés. Personne ne me mettait au courant de leur situation, mais je remarquais que quelque chose n’allait pas chez eux, ils étaient étourdis et semblaient toujours fatigués. J’ai été obligé de m’isoler avec eux pour les inviter à en discuter. Ces gens ont toujours peur de débarquer prématurément. Leur devise est : « More time on board, more money. » Ils n’ont pas d’assurance chômage.
Lorsqu’il y a un blessé, je dois me débrouiller. Nous pratiquons un métier à risque compte tenu des conditions. Les mouvements du navire et la fatigue sont des facteurs aggravants. La notion de sécurité est plus importante qu’ailleurs, pourtant des accidents arrivent parfois. J’ai déjà rencontré des brulés graves, des fractures ouvertes et des décès. Ce sont toujours des moments difficiles.
Cependant, je ne regrette rien. Le meilleur moment est lorsque je prends mon café matinal devant l’immensité de la mer. Peu de personnes ont ce spectacle à leur réveil.
Pouvez-vous, en quelques lignes, nous décrire une journée en mer ?
Je m’aperçois de plus en plus que le métier de marin au long cours est totalement inconnu du grand public. Souvent, les gens sont surpris quand ils me voient pour la première fois. Ils m’imaginent être le seul maître à bord après Dieu, en vieux loup de mer avec la barbe, debout à la passerelle avec les jumelles en main. Je laisse cette image pour les inconditionnels du capitaine Haddock, la réalité est tout autre.
Les navires sont de plus en plus sophistiqués au niveau technique. Les moteurs marins sont les plus puissants du monde, et ils tournent en permanence, vingt quatre heures sur vingt quatre. L’électronique est présente partout à bord, étant donné les conditions, vibrations importantes, roulis, tangage, choc des vagues et corrosion par l’eau de mer, elle est soumise à rude épreuve. En outre, le navire doit rester opérationnel à tout moment. Nous réparons et entretenons tout nous-mêmes, la maintenance est un élément clef de la réussite de l ‘expédition maritime.
Ces dernières années ont connu une explosion de la réglementation maritime. Les navires transporteurs de produits chimiques et pétrole sont dans le collimateur des médias. La moindre faute peut entraîner une catastrophe gigantesque. Les inspections sont régulières et souvent à l’improviste. Elles se basent sur la traçabilité dans les domaines de la maintenance, de la sécurité, de la navigation, du respect de l’environnement et de l’exploitation commerciale. C’est devenu un véritable casse-tête administratif pour les officiers supérieurs. Un seul document manque et le navire est coincé au port. Il est préférable que ça n’arrive pas, car les conséquences se chiffreraient immédiatement en centaines de milliers d’euros de perte d’exploitation et de contrat.
Les moyens de communication n’ont pas évolué dans le sens de la tranquillité des marins. Chacun peut connaître à tout moment la vitesse, la destination et la position des navires. Les chargeurs, les affréteurs et les armateurs s’inquiètent à la moindre chute de vitesse. Un nœud en moins sur la vitesse définie par le contrat et le capitaine doit se justifier. En effet, tout retard a un coût. Les impondérables tels que la météorologie ou l’attente d’un pilote sont connus des commerciaux, mais il est important de savoir qui devra les payer.
Pour faire simple, une journée en mer ne ressemble jamais à une autre, trop d’éléments extérieurs interviennent.
N’est-ce pas trop difficile, quand l’on a une famille, de passer de si longs mois loin de ceux que vous aimez et de vous dire qu’il y a beaucoup d’événements familiaux que vous ne pouvez vivre ?
Chaque profession a ses avantages et ses inconvénients. Je n’aurai jamais pu travailler dans un bureau avec des horaires fixes. La mer est indomptable, je dois faire avec. Les conditions sont difficiles à bord, il y a du roulis, le navire vibre beaucoup, les horaires sont extensibles, nous devons nous débrouiller seuls et je rate beaucoup d’évènements familiaux. Mon épouse et mes enfants ne se sont jamais plaints, quoique ça ne doive pas être facile parfois, cependant ils savent que lorsque je rentre je leur consacre tout mon temps. Peu de pères ont eu la joie d’accompagner leurs enfants à l’école primaire et d’aller les attendre à la grille, j’estime avoir eu cette chance. Ce fut un grand moment de mon existence.
Vous êtes édité chez « Polars en Nord ». Comment s’est déroulée votre recherche d’un éditeur ?
Je suis entré chez Polars en Nord par le plus grand des hasards. Je venais de terminer mon premier roman et, à l’époque, je pensais le vendre à un journal local pour qu’il le diffuse sous la forme d’un feuilleton quotidien. Le monde de l’édition me faisait peur, ça me semblait inaccessible.
En cherchant de la lecture dans une librairie, mon épouse m’a montré l’adresse de la maison d’édition Polars en Nord, il y avait un présentoir à l’époque. J’ai suivi son conseil sans trop y croire. Quelques jours après, Gilles Guillon m’a appelé pour me dire qu’il était intéressé.
À partir de ce moment, tout est allé très vite. Un mois plus tard, je me retrouvais à une table de dédicace devant des passionnés de polars qui me posaient des tas de questions. Ce premier contact avec le public m’a un peu effrayé, je craignais qu’il y ait erreur sur la personne. Maintenant, je me sens bien dans la peau d’un écrivain, ces rencontres avec les lecteurs sont toujours un moment magique. Mes quatre romans ont été publiés chez Polars en Nord.
Qu’est-ce qui, selon vous, contribue à la réussite d’un bon roman policier ?
Les goûts sont très variables selon les individus. Le lecteur doit être captivé par l’intrigue bien entendu, mais il doit aussi apprendre des choses. Le roman policier est constitué de déductions et d’effets de surprises. Le héros doit toujours trouver une piste avant le lecteur, pourtant ce dernier avait tous les éléments en main. Un jeu intelligent doit se jouer entre ces deux personnages. Mais le héros a un avantage, il est de mèche avec l’auteur, et c’est lui qui écrit l’histoire.
Je déteste la vulgarité, la cruauté et la pornographie. Je préfère que tout soit suggéré, et laisser mon imagination faire le reste.
Pourquoi avez-vous choisi le genre polar au profit, par exemple, de romans d’aventure ?
Mes livres sont à la frontière entre le polar et le roman d’aventure. C’est pourquoi je préfère parler de thriller en ce qui les concerne. Si l’intrigue est bien construite, le lecteur focalise son attention dessus. L’écrivain a donc plus de facilités pour l’amener à réfléchir sur certains points. Les polars et les romans d’aventure sont les meilleurs moyens de s’évader.
Comment percevez-vous les critiques ?
C’est toujours intéressant de voir comment les personnes ont perçu notre roman. Beaucoup de lecteurs m’envoient leur avis via les réseaux sociaux, par mail ou par courrier postal. J’ai toujours le cœur qui bat en ouvrant le message. Pour le moment, je n’ai jamais lu de mauvaises choses.
Les critiques doivent servir à orienter le lecteur vers un roman qui lui plaira. Du fait de notre culture, nous remarquons les erreurs plutôt que le travail fourni. Le livre s’en sort bien de ce côté là parce qu’il fait partie du divertissement. Les critiques sont constructives à partir du moment où elles sont objectives. Je pense que tous les auteurs font lire leurs romans à d’autres personnes avant de les envoyer chez l’éditeur. Leurs impressions sont primordiales, du fait que l’écrivain est dans son monde et qu’il veut proposer son livre à un large public. Le comité de lecture donne son avis au directeur de publication. Un tri important est fait parmi les manuscrits. Si des critiques négatives arrivent par la suite, ça veut dire que le barrage n’a pas été bien fait.
Vous aimez également lire des romans policiers. Comment les choisissez-vous ?
Comme beaucoup de lecteurs, je me renseigne sur les blogs spécialisés. D’après les critiques, je sens si le roman correspond à mes besoins du moment. Car mes envies de lectures changent selon les saisons et mes humeurs.
Le bouche à oreille fonctionne bien, lorsque je rencontre un de mes lecteurs, je lui demande de me conseiller un auteur. Je n’ai eu que des bonnes surprises.
En revanche, je suis de plus en plus déçu par la presse écrite et je ne m’y fie plus.
Quels sont vos auteurs préférés ?
Je suis très mauvais public dans ce domaine, beaucoup d’auteurs m’ont ennuyé à une époque de ma vie, et je les ai redécouvert plus tard avec le plus grand intérêt. Inversement, j’adorais les livres de Fred Vargas auparavant, et je ne les supporte plus maintenant. Je ne peux pas citer tous ceux que j’ai aimés, il y en a trop.
Une figure forte du Polar reste, pour moi, Henning Mankel. J’ai lu et relu ses romans plusieurs fois. Je suis allé sur les lieux où ils se déroulent. Ce ne sont que de pures fictions, mais j’aime ce mélange avec la réalité.
Adolescent, j’ai pris goût à la lecture avec Maupassant, Zola, Forester, Jean Jacques Antier, André Le Gall, Jack London. Cela me servait d’antidote aux nausées occasionnées par les lectures obligatoires du lycée.
Quelle est votre devise ?
Je suis le maître de mon destin, je suis le capitaine de mon âme. (Invictus - William Ernest Henley)
Quel est votre rêve le plus cher ?
L’homme est un être fantastique. Il possède une grande intelligence, un esprit créatif, la curiosité, cinq sens et un corps qui lui permet d’immenses possibilités. Combien d’humains utilisent correctement ce que la nature leur a donné ? Mon rêve le plus cher est que chacun de nous se réveille et fasse le maximum pour s’opposer à la médiocrité dans laquelle notre système tend à nous plonger. Les vraies valeurs ne sont pas celles qu’on nous affiche outrageusement devant les yeux. J’aimerais que les gens se cultivent, s’ouvrent l’esprit, créent, courent, grimpent aux arbres, respirent le parfum des fleurs, sentent le vent caresser leur peau, sourient à un passant, apprennent à dire non, se promènent en forêt, cuisinent avec de vrais produits, discutent avec des amis… Nous vivons dans un monde où le duo manipulation-soumission est de plus en plus flagrant, que ça soit en entreprise, dans notre consommation ou dans nos loisirs. La manipulation sous toutes ses formes nous fait perdre tout repère, réagissons et ne laissons pas détruire le monde.
Si vous aviez la possibilité de faire un vœu, quel serait-il ?
Que chacun sache mettre des mots sur ses ressentis et apprenne à en parler. La discussion est un grand pas vers la paix.
Si vous n’aviez qu’un seul mot pour vous définir, quel serait-il ?
Libre.
Le mot de la fin ?
Merci Marine.
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