'Le crépuscule des gueux' Hervé Sard
Les lectures se suivent et ne se ressemblent pas. Fort heureusement ! Après l’enchaînement de deux thrillers, il me fallait alterner avec un roman noir. Certes, j’apprécie la lecture de thrillers, mais j’affectionne également particulièrement ce genre plus méconnu et probablement moins vendeur qu’est le roman noir. Celui qui vous interpelle, celui qui dépeint la société telle qu’elle est. Un genre où l’hémoglobine n’a pas sa place, où il ne faut pas attendre de tourner les pages frénétiquement à la recherche de sensations fortes et de rebondissements multiples. Un genre bien à part, j’en conviens, mais qui ne vous laissera jamais indifférent. De part sa réalité, de part son authenticité. Un genre qui mérite vraiment d’être découvert mais qui ne vous fera en aucun cas frissonner.
Les Gueux ce sont les clodos, ceux qui ‘ne savent même plus comment ils s’appellent’, ceux que l’on regarde à peine dans la rue, ceux dont on évite de croiser le regard. Leurs cabanes sont installées ‘à une petite centaine de mètres en direction de la gare de Chaville, en direction de la voie ferrée. Des constructions de bric et de broc, en bois, en tôle, en on n’aurait su dire quoi. Quelques pierres ou parpaings sur des toits en plastique ondulé. Des tables en PVC qui avaient dû être blanches’ .
‘Le quai des Gueux, c’était une sorte de kolkhoze à la sauce va-nu-pieds’ où chacun tient son rôle, ou chacun a sa fonction. ‘C’est pas dans le Guide du Routard. Ce serait plutôt dans celui du Clochard !’. Le quai, c'est une entité à part entière, une communauté qui a ses règles de vie.
Six personnages. Quatre hommes et deux femmes. Tous avec leurs différences mais tous unis dans la misère. Ceux qui ne comprennent pas pour quelles raisons ceux qui ont la chance d'avoir un travail, un toit, une adresse, une identité sont tristes. ‘Mais pourquoi ils y vont au boulot, si çà les broute tant que çà ? Hein, pourquoi ils y vont ? Sont cons. Sont cons, les gens.’
Quatre hommes : Luigi, Krischna, Capo et Boc. Deux femmes : Boop et Môme. Des hommes et des femmes terrorisés par 3 meurtres en un mois à peine. ‘3 gamines qui s’étaient retrouvées écrabouillées par les rames’. Il n’en faut pas plus à Luigi pour fuir. Luigi qui a 17 ans de prison derrière lui. Dans le cas présent, il doit partir au plus vite. Coupable ou pas. Il doit fuir les cadavres du Quai des Gueux, au risque d’être soupçonné et arrêté en premier.
Evariste Blond, capitaine de police au 36 est diligenté pour mener l’enquête. Flanqué d’une stagiaire : Christelle qui veut devenir OPJ. Mais il n’est pas aisé d'enquêter dans un tel endroit. Alors il demande à Christelle un service : missionner son co locataire : Timothée qui devra s’infiltrer dans le milieu pour tenter de comprendre qui est ce 'dingue', ce 'dingue qui a remis le couvert'.
Mais Timothée passe bien plus temps à philosopher avec Krischna qu'à essayer de comprendre ce qui s'est passé cette nuit là.
Ce roman est, certes une intrigue (il y a quand même eu des meurtres et pas des moindres, des corps retrouvés décapités sur les voies ferrées, mais des corps dont on n'a pas retrouvé les têtes), mais également et surtout une analyse de la société. Le train train quotidien de tout à chacun, l'indifférence ou le mépris face à ceux qui ne sont pas 'comme tout le monde'. Des hommes et des femmes qui n'ont rien mais qui font de leur mieux pour vivre, pour ne pas sombrer, qui se débrouillent pour se nourrir, qui mettent un point d'honneur à vivre dans la propreté, à ne pas se laisser aller. En bref, une belle leçon de vie pour tous ceux qui ont tout ou beaucoup pour être heureux et qui ne savent que voir ce qui ne va pas.
Ce roman aurait pu être très sombre. Mais l'auteur a su lui conférer une certaine légèreté grâce à un humour bien présent, grâce à de petites phrases comme :
'Il y a des gens parfois, on se demande s'il y a quelqu'un dedans'
'Il ne faut jamais remettre au lendemain ce que l'on peut très bien ne jamais faire du tout'
'Oh putain, çà se soigne pas ce que t'as, toi'
'Les cons, ils ont l'avantage du nombre'.
(Et ce ne sont que quelques exemples).
En guise de conclusion, j'achèverai cet article en vous recommandant vivement cette lecture. Un roman très agréable et en même temps très profond.
Une double réussite !
Hervé Sard, qui êtes-vous ?
Un homme d’un quelconque rare. J’explique (en gros) après.
Quel est votre trait principal de caractère ?
Le trait d’union.
3 qualités et 3 défauts ?
Je me connais quelques qualités, mais j’ai le défaut de les surestimer. Je me connais aussi des défauts, j’ai au moins cette qualité. Avec l’âge, on apprend à contourner ses défauts, à exploiter ses qualités. Mais je suis encore très jeune…
Ah si, quand même ! J’ai une qualité : je parle peu (cf. les 2 premières questions) et un défaut : il arrive que j’en dise trop (cf. les suivantes).
Qu’est-ce qui vous plait dans l’écriture ?
Créer un monde virtuel, puis le transcrire. Imaginer des personnages, les plonger dans ce monde, les regarder fonctionner. Jouer avec les mots. L’écriture est un jeu. On compare parfois la lecture et le cinéma. « On » dit que la lecture est « supérieure » au cinéma, parce que le cinéphile est passif, tandis que le lecteur crée les images, les sons, les perceptions. Pour rester dans cette analogie avec le cinéma, l’auteur est à la fois scénariste, metteur en scène, et cadreur. Une fois le monde imaginé (scénario), les personnages installés (mise en scène), il faut cadrer, choisir vers où orienter la caméra et quand, bref ne retenir de ce qui se passe que ce qu’il faut pour « exposer » son monde virtuel. C’est dur, d’être cadreur (ou monteur) de l’imaginaire… Le côté « metteur en scène » de l’auteur aimerait que tout ce qui a été imaginé par son côté « scénariste » soit retenu au montage. Le cadreur est là pour ne conserver que l’essentiel. Il y a peu d’auteurs qui parviennent à avoir les 3 casquettes en même temps. J’aimerais bien, un jour, parvenir à en avoir 2…
Cela dit pour la partie « intime » de l’écriture. Autour, il y a beaucoup de choses : il ne se passe pas une journée sans un moment de bonheur lié à l’activité d’écriture. Lire le livre d’un auteur ami et y prendre plaisir. Retrouver des gens au hasard d’un salon. Aller dans une librairie. Lire une chronique !
Qu’est ce qui vous a donné l’envie d’écrire ?
Je ne sais vraiment pas répondre à cette question. Peut-être que je saurais répondre à : « qu’est-ce qui t’a donné envie de continuer à écrire après avoir essayé ? » La réponse serait probablement que quand la confiture est bonne, on aurait tort de ne pas vider le pot.
Comment écrivez-vous ? Avez-vous des moments privilégiés dans la journée ?
Je passe beaucoup de temps à imaginer, à observer, à réfléchir, peu à écrire à proprement parler. Sur le « comment », quelqu’un a dit qu’il fallait d’abord « raconter » une histoire, puis l’écrire. Je ne suis pas certain d’appliquer la consigne : rien n’est plus plaisant que de se laisser emporter par ses propres personnages. Mais c’est aussi casse-gueule.
Le matin de bonne heure est LE moment privilégié, le train le lieu idéal.
Quel est votre loisir principal ?
Je ne sais pas trop ce que l’on entend par « loisir ». Si cela signifie « passe-temps », ou « distraction », la réponse est : je ne veux surtout pas faire « passer » le temps, ni être « distrait » de ce qui m’entoure. Le mot « vivement » ceci ou cela me fait bondir. Tout comme « Pourvu que » ceci ou cela. S’il faut attendre les vacances ou le week-end, ou la fin de la journée de travail avec impatience, on ne vit plus, non ? Tout de même, pour répondre un peu plus précisément, j’apprécie les grands espaces, le silence et si je dois citer un loisir, alors c’est la solitude. Un luxe.
Que détestez vous par-dessus tout chez un homme ? et chez une femme ?
J’ai beau creuser, je ne crois pas avoir jamais détesté quelqu’un, homme ou femme. Si je devais dresser le portrait-robot de l’homme haïssable, il serait au volant d’une grosse voiture équipée d’un détecteur de radars, en train de téléphoner, avec un autocollant « Bébé à bord » à l’arrière, en excès de vitesse en ville. La femme haïssable robot est son épouse et lui repasse ses chemises devant la télé pendant qu’il fait son footing le dimanche. Cela dit j’ai un faible pour les cons. De loin, ils sont très intéressants.
La même question mais avec ‘ce que vous préférez' ?
Humour, intelligence, simplicité, sincérité, douceur.
Quelle est votre devise ?
Dans Le crépuscule des Gueux, on trouve « Il ne faut jamais remettre au lendemain ce que l’on peut très bien ne jamais faire du tout ». J’applique.
Avez-vous un livre en écriture ?
Une nouvelle à paraître en fin d’année dans un recueil consacré au groupe Bérurier noir. Une autre déjà écrite sortira après l’été dans la collection Petit Noir chez Krakoen. Un texte terminé aussi pour un livre à paraître sous peu, publié par l’Association des Amis de San-Antonio. Et un roman pour dans pas longtemps.
Où trouvez-vous votre inspiration ?
Dans les endroits où il se passe quelque chose.
Quel serait votre rêve le plus cher ?
Vivre tranquillement, dans un monde qui en fait autant. C’est pas gagné.
Un grand Merci pour avoir pris le temps de répondre à ces quelques questions et au plaisir de vous lire de nouveau !