"Alice change d'adresse" Michel Moatti
Alice Hoffman a tenté de mettre fin à ses jours. Son fils Franck âgé de 11 ans est mort noyé.
C’est après 53 jours de coma qu’elle se réveille à la clinique.
J’étais morte. J’étais morte et ils m’ont réveillée.
Alice n’est plus que l’ombre d’elle-même. Obsédée par la mort de son fils. Elle vit et erre tel un fantôme ; rien ne semblant plus pouvoir la rattacher au monde extérieur.
J’ai compris que je ne pourrai plus reprendre contact avec la normalité du monde. J’avais glissé, en dehors.
La douleur, la culpabilité et l’angoisse semblent être ses seules compagnes. Elle n’a aucun contact avec le monde extérieur, si ce n’est que le prêt d’un petit ordinateur portable avec éditeur de texte simplifié qui ouvre des pages blanches sur lesquelles elle peut écrire.
Quand Alice annonce qu’un homme est venu la voir dans sa chambre et lui dit que Franck n’est peut être pas mort et qu’il faut le rechercher, la psychologue tourne les talons. Elle n’y croit pas une seconde. Selon elle, ce ne sont que de simples hallucinations dues à la prise de cachets.
Mais Alice sait qu’elle n’a pas rêvé et se met en quête de le retrouver rapidement. Il ne lui faudra pas longtemps pour le rencontrer. Jean-Paul Van Der, officier de police, est en convalescence depuis onze mois à la clinique. Il voit en l’histoire de cette femme l’opportunité d’"illuminer son quotidien".
- Je me suis renseigné. J’ai profité de votre arrivée ici pour me dégourdir un peu, comme on dit. Je ne suis entouré depuis onze mois que de personnes séniles, de gens en fin de vie, sans souvenirs, sans mémoire, qui attendent l’heure du goûter ou la séance collective e télévision avant le repas du soir j’en avais marre de participer à de animations dans la grande salle, de jouer au Scrabble en grignotant des sablés au beurre. J’ai saisi l’occasion. J’ai travaillé sur votre histoire. Votre accident. J’ai lu les notes que l’on a prises sur vous depuis votre réveil. Je traîne pas mal aux heures où ils visitent et laissent leur bureau ouvert. J’ai l’habitude de fouiller….
- Vous fouillez ? Vous avez fouillé dans ma vie ?
- Oh, juste dans ce que vous en avez dit à l’équipe médicale. Si vous saviez à quel point je m’emmerde ici. Enfin, si vous voulez… J’ai fouillé, oui. L’inondation, la vague de boue. Ce que vous avez raconté sur les derniers instants avec votre fils. J’ai analysé les recherches et j’ai les noms des victimes qui ont été retrouvées. Et j’en suis arrivé à ce que je vous ai dit l’autre fois…
- Mon fils est mort ! Franck est mort ! J’ai vu les eaux, j’ai vu cette montagne de boue et de bois arriver sur nous, j’ai vu Franck se noyer… Mon Dieu, qu’est-ce que vous me racontez ?
- L’avez-vous vu effectivement se noyer ? L’avez-vous vu dans l’eau avec vous ?
- Bon sang, j’étais aux premières loges ! Je vous dis que j’étais dans le canal quand cette putain de vague nous est tombée dessus. J’ai essayé de nager, j’ai bu la tasse, j’ai pataugé là-dedans avec mes habits qui pesaient une tonne. J’ai vu des corps tourbillonner autour de moi dans la mousse et l’eau verte.
- Es-ce qu’on a retrouvé le corps de votre fils ? Non.
- C’était… glacé !
- Ecoutez… On a retrouvé des corps. Les jeunes mariés. On a interrogé des témoins. Le photographe. Plus bas, un couple de cyclistes. Le fils des éclusiers, qui tenait les vannes ce jour-là. Un vieux pêcher s’est présenté spontanément pour déposer. Mais on n’a rien qui concerne Franck.
- Je sais tout ça ! J’ai passé quatre semaines à attendre, à téléphoner chaque matin à vos collègues et à harceler les gendarmes de la brigade de recherche. Vous êtes flic ? Alors vous avez entendu parler de l’article 88 !
- Je… Calmez-vous. Je connais l’article 88. Mais il faut vous calmer. Oui, on établit « une déclaration judiciaire de décès lorsque le décès est certain ou que la disparition a eu lieu dans des circonstances de nature à mettre la vie d’une personne en danger mais que le corps n’a pu être retrouvé ». c’est ce que dit l’article 88. Mais l’article 88 ne s’applique pas, ne s’applique jamais lorsqu’il y a suspicion d’enlèvement d’un mineur. Dans ce cas-là, très précisément, il n’y a pas de présomption de décès.
- Enlèvement ! Qu’est-ce que vous me racontez là ?
Le policier sème le doute dans l’esprit d’Alice ainsi que dans celui du lecteur.
Doute qui sera décuplé par la voix de Franck venant se greffer au récit et qui résonnera dans ce long tunnel de souffrance.
L’atmosphère qui se dégage de ce récit est assez particulière. A l’image d’un flou artistique, l’héroïne semble évoluer dans une bulle flottant en dehors du temps et être enveloppée d’un voile. Le lecteur ne pourra s’empêcher d’éprouver une empathie très forte et à se poser les mêmes questions que ces héros de papier : et si effectivement Franck n’était pas mort ? Et qui est cette femme qui a été vue au moment de sa disparition ? Franck a-t-il été victime d’un enlèvement ? Que s’est-il réellement passé ce jour là près de l’écluse n°9 ?
Bienvenue dans un monde où doutes, illusions, certitudes, incertitudes, espoir, désespoir et folie ne feront plus qu’un. Invitation au voyage dans le monde des ténèbres où le seul rai de lumière sera l'espérance. L'espérance sourde et pesante d'une mère meurtrie qui ne sait si elle doit ou non croire en la mort de son fils. Et pour qui, seule la découverte du corps de celui à qui elle a donné la vie onze ans auparavant lui permettrait de faire son deuil. N'ayant aucune preuve de son décès, et celui-ci n'ayant jamais été retrouvé, elle "s'accrochera" à ce policier et c'est ensemble qu'ils se lanceront à la quête de la vérité.
Après « Retour à Whitechapel » et Blackout Baby où l’auteur excellait dans l’art de faire revivre une époque endeuillée par la guerre, la souffrance et la peur, l’émotion était particulièrement palpable et les personnages particulièrement travaillés.
Dans le cas présent, l’auteur change de registre en publiant un thriller psychologique.
Le lecteur se laissera emporter dans le tourbillon de ce récit et sera avide de connaître la fin. Il fusionnera avec les émotions de cette mère et sera touché par son mal être, sa douleur et son besoin de savoir. Savoir ce qui est arrivé à cet enfant qui était le sien.
Desservi par une écriture simple mais, à l'image de ses autres romans, très particulière et d’une sensibilité très touchante, voire presque féminine à certains moments ; "Alice change d'adresse" est un bon roman qui surprendra, si tenté que l'on ne soit pas un(e) habitué(e) de ce genre d'ouvrages. Car, et là est mon seul bémol, la fin laissera un goût quelque peu amer aux adeptes du genre qui auront cette impression de déjà vu et seront probablement quelque peu déçus par une fin qu'ils avaient (peut-être) anticipée trop tôt.
Mais il est à noter que Michel Moatti fait partie de ces auteurs qui invitent le lecteur au voyage et qui raconte plus qu'il n'écrit. Il sait attiser sa curiosité et c'est la raison pour laquelle je voulais clore cette chronique sur cette note positive. Un très bon moment de lecture.
HC Editions
299 pages
19 €
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