'Comptine en plomb' Philippe Bouin
C’était il y
a bien longtemps. Retour en 1965. Marcel Lefèvre, dit Monsieur Pigeon, est un homme du Pas-de-Calais. Il avait pour habitude de parier lors des combats de coqs, une activité qui permettait
d’arrondir ses fins de mois. Lors d’un combat, son corps est retrouvé sans vie. Serré dans le creux de sa main, un soldat de plomb, plus précisément un Mignot. L’arme du crime est retrouvée sur
les lieux. Une arme pour le moins inhabituelle : un couteau à découper le gigot ; un couteau en argent qui laisse à penser que le tueur appartient à la
‘haute’.
L’inspecteur Achille Gallois est saisi de l’enquête. Pied noir d’origine, il vient d’être muté dans cette Région qu’il déteste.
Peu de temps après ce premier meurtre, la sœur de Pigeon est à son
tour assassinée. Elle serrait, elle aussi, un soldat de plomb dans sa main. Cette fois, c’est avec un fusil de chasse que la victime a été tuée. Un Granger de Saint Etienne, arme très onéreuse.
Deux meurtres semblant émaner du même tueur. Il semblerait que l’assassin, via le choix de ses armes, a un message à faire passer. Mais lequel ? Pour quelles raisons des soldats de plomb
sont-ils retrouvés sur les lieux du crime ? Gallois est persuadé qu’il s’agit d’un notable, contrairement à Percy qui ne comprend pas ce que quelqu’un de la ‘haute’ peut bien vouloir à un
paysan et à une charcutière.
P’tit Bosco avait de bonnes raisons d’en vouloir à Pigeon. La raison du cœur, sa femme ayant eu une aventure avec lui. Mais pourquoi sa soeur a t-elle, elle aussi, été tuée ?
Parallèlement, un enfant raconte. Ce qu’il a ressenti le jour de l’enterrement de ses parents, la rancune qu’il éprouve face à ces adultes qui ne lui ont rien dit. Probablement dans le but de le protéger. Mais qui, en pensant bien faire, ont déclenché un sentiment qui n’a fait que croître au fil des années : la haine.
… « Un accident de voiture, un accident idiot, comme tous les accidents. Le plus terrible était qu’on ne lui avait pas dit, il lui avait fallu le comprendre ! Les grands lui avaient volé son chagrin ! Les grands lui avaient volé ses cris ! Les grands lui avaient volé ses larmes ! Les grands avaient refusé de lui ouvrir leurs bras ! Alors, pour se venger, l’enfant jura de leur cacher sa peine… A l’enterrement, on s’interrogea sur sa sécheresse. De quoi était fait ce bout de vie qui ne montrait pas sa douleur ? Un cœur battait-il dans ce petit corps rigide ? Sa grand-mère paternelle en eut les sangs glacés. Ses tantes et ses oncles en furent mortifiés. On lui chercha des excuses, on parla de choc psychique. Et, par-dessus tout, on s’en épouvanta. Les adultes se posèrent des questions. Ils suivirent le corbillard, tiré par un cheval épargné par la guerre, en s’interrogeant sur son indifférence. Mais mal à l’aise, barbouillés d’un semblant de remords, ils n’osèrent lui parler. L’un après l’autre, le regard de l’enfant se ficha dans les leurs. Ils l’évitèrent. Surtout ceux qui avaient trahi son père. Car ils étaient là, ces tartuffes, faussement recueillis, comme s’ils avaient de la peine, incapables de soutenir le froid de ses pupilles. L’enfant en éprouva une joie infinie. Ses yeux étaient une arme. La peur venait de changer de camp »…
L'inspecteur Gallois aura tôt fait de comprendre qui se cache derrière l'assassin mais, faute de preuves suffisantes, ne pourra l'arrêter et ne pourra donc, par la même occasion, empêcher la série de meurtres suivants.
Les premières pages de ce roman donnent immédiatement le ton. Une écriture très travaillée.
Un style sans reproches. Des dialogues ‘pur jus’
mêlant français et patois. « Une écriture au cordeau, le portrait au vitriol d’une société qui a marqué l’enfance de l’auteur, hypocrite, sûre d’elle-même et de ses privilèges, et une
révélation inattendue, amorale » pour reprendre les éléments de la 4 de couv. Les Calaisiens y retrouveront leur ville. Celle d'il y a 40 ans. Celle d'aujourd'hui. Avec la vérité. Une vérité
cruelle et inattendue.
‘Comptine en plomb’ est un excellent roman noir. Un roman qui a été le lauréat français du 13ème salon ‘Polar and Co’ de Cognac en 2008.
Archi Poche‘
381 pages
7,50 €