09 Nov

"Le doute" S.K. Tremayne - Coup de coeur -

Publié par Les Polars de Marine

Albert Camus disait « Les doutes, c’est ce que nous avons de plus intime ».

Angus et Sarah décident de quitter Londres et s’installent sur l’île de Torran à proximité de l’île de Skye. Leur situation financière est au plus bas et ils viennent de perdre une de leur fille jumelle : Lydia, suite à un terrible accident.

- J’ai une nouvelle à t’annoncer, Kirstie. Une bonne nouvelle. Merveilleuse, même.
Assise par terre à côté d’elle, entourée de ses jouets – ses pingouins, Léopardy le léopard en peluche, et la Poupée manchote -, je lui raconte tout. Les paroles se bousculent dans ma bouche pour lui expliquer que nous allons partir nous installer dans un endroit spécial, un endroit inconnu où nous pourrons commencer une nouvelle vie – un endroit magnifique, baigné d’air frais et de lumière : une île rien que pour nous.
Pendant que je parle, Kirstie ne me quitte pas du regard un seul instant. C’est à peine si elle cille. Muette, passive, comme ne transe, me renvoyant mes propres silences. Puis elle hoche la tête et ébauche un sourire. Déconcertée, peut-être. Le calme règne dans la chambre. Je suis à court de mots.
- Alors ? dis-je enfin. Qu’est-ce que tu en penses ? Aller vivre sur une île, rien que nous trois, tu ne trouves pas ça formidable ?
Kirstie acquiesce d’un léger mouvement de tête. Baisse les yeux vers son livre, le referme, me dévisage de nouveau.
- Maman ? Pourquoi tu m’appelles tout le temps Kirstie ?
Je ne réponds pas. Le silence me semble soudain assourdissant.
- Je, euh… Excuse-moi, ma puce, tu disais ?
- Pourquoi tu m’appelles tout le temps Kirstie, maman ? Kirstie est morte. C’est Kirstie qui est morte. Moi, je suis Lydia.

… ??? …

Appel au secours d’une enfant qui s’est perdue au jeu des identités ? Ce jeu qui les amusait tant, où les deux petites filles, parfaitement identiques, prenaient un malin plaisir à s’échanger leurs prénoms, rien ne pouvant les distinguer. Deux copies totalement conformes. Des jumelles monozygotes.

Ou bien, peut-être la volonté de vouloir culpabiliser ses parents qui étaient absents au moment du drame ?

Ou encore, et simplement, une enfant déstabilisée par la perte de sa sœur jumelle et qui sombre doucement dans la folie ?

Toujours est-il que Sarah perd ses repères et ne sait plus comment se comporter ni réagir.

La perte de leur enfant modifie leurs comportements, chacun reportant la faute ainsi que son propre désespoir sur l’autre.

Angus est différent. Il ne voit plus son épouse de la même façon. Ses sentiments se sont effrités et il ne peut s’empêcher de penser à ce bonheur brisé. Ils étaient quatre. Ils fondaient une famille heureuse et unie. Ils ne sont plus que trois. Il faut désormais vivre avec l’absence. Cette « amie » invisible et obsédante. Cette amie-ennemie. Et il lui arrive aussi souvent d'avoir un comportement étrange, comportement qui inquiète Sarah.

Parviendra-t-il un jour à aimer de nouveau Sarah ? D’un amour pur et absolu, qui ne serait gâché ni par le ressentiment ni par un désir de vengeance ?

Dans deux minutes, il franchirait le seuil de sa nouvelle maison, où lui et les siens allaient tenter de refaire leur vie.
Instinctivement, il jeta un coup d’œil à son téléphone. Pas de signal. Bien sûr. Qu’avait-il espéré ? L’île était une entité en soi : solitaire, isolée, et aussi éloignée du cœur de la Grande-Bretagne qu’il était possible de l’être.
Alors qu’il s’apprêtait à gravir la dernière pente jusqu’au cottage, Angus se retourna pour contempler la vaste étendue boueuse jusqu’à Ornsay.
Oui, isolée, loin de tout. Parfait. Il était heureux d’avoir convaincu sa femme de venir s’installer ici ; heureux d’avoir réussi, en outre, à la persuader que c’était son choix. Depuis des mois, il voulait éloigner sa famille de tout, et aujourd’hui il avait atteint son but. Sur Torran Island, ils seraient enfin en sécurité. Personne ne poserait de questions. Il n’y aurait pas de voisins trop curieux. Pas d’amis ni de proches. Pas de policiers non plus.

Lui, tout comme Sarah, ne peut s’empêcher de penser au passé, aux jours heureux, au temps de l’innocence, à celui du rire de leurs filles.

Sarah croit, quant à elle, en des choses auxquelles Angus se refuse à croire et qu’il ne veut accepter. Elle culpabilise de n’avoir été présente le jour du drame et de n’avoir pu l’éviter, de n’avoir pas su protéger son enfant et ne supporte plus d’être en proie au doute. Elle mettra tout en œuvre pour savoir si c’est Lydia ou Kirstie qui est tombée.

Et Kirstie est inquiétante. Enfermée dans la solitude et le chagrin, celui d’avoir perdu son double à tout jamais, son attitude est très souvent déroutante.

Des protagonistes entourés d’un halo de mystère et donnant tous l’impression d’avoir quelque chose à cacher. Le tout auréolé d’une ambiance très particulière où se mêlent une peur insidieuse, des doutes multiples, une nature qui devient de plus en plus hostile et où les éléments finiront par se déchaîner. Tour à tour, le lecteur se demandera qui est manipulé.

La qualité d’un ouvrage tient à la capacité de l’auteur à immerger son lecteur dans un monde imaginaire et fictif mais qui pourrait être réel. « Le doute » fait partie de ces romans qui tiennent leurs promesses. Les personnages sont tour à tour sincères, touchants, émouvants ou inquiétants.

S.K. Tremayne a choisi une île singulière comme décor : L'île du Tonnerre. Torran Island et ses secrets. Torran Island et ses fables : la veuve de Portree, la Peur qui rôdait dans le noir et la Gruagach aux cheveux d’un blanc neigeux qui pleurait son propre reflet.

Une île sauvage où la lumière est souvent absente et semble avoir fui le ciel au même titre que la joie des protagonistes qui ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Sarah et Angus pour avoir perdu leur enfant. Lydia pour avoir perdu sa sœur.

« Le doute » sera mon second coup de cœur de l’année après « Les mémoires de Mathilde » de Gérard Coquet.

Parce que je me suis laissée envahir par cette atmosphère lourde et pesante, angoissante et terrifiante de non dits, de suspicions et de doutes.

Parce que ni le mystère, ni la tension, toujours latente, ne faiblissent. Et ce, jusqu’à la fin du roman, une fin cruelle et inattendue.

Pour des dialogues très justes, dénonçant tantôt l’hypocrisie, tantôt la réalité affligeante et décriant souvent ce que certains pensent tout bas sans oser le dire tout haut.

Pour un thème souvent abordé mais très bien décrit dans le cas présent. L’auteur met en avant toutes les particularités de la gémellité sans rien omettre.

La gémellité, synonyme de mimétisme. Les jumeaux adoptant un comportement fusionnel et pouvant très difficilement être séparés. Ils vivent leur vie en complémentarité de manière idyllique ou bien selon un schéma « dominant-dominé ». Mais toujours en fusion totale.

Ils ressentent souvent des émotions communes et ce, parfois, à des kilomètres de distance.

« Le doute » est un roman qui ne manquera pas de susciter et d’éveiller votre curiosité et que je ne serais pas surprise de voir porté à l’écran.

« Si vous pensiez que les apparences étaient un bon roman, vous serez époustouflé par celui-ci »

The Times

Effectivement, celui-ci est bien meilleur que Les Apparences. Je confirme.

Editions Presses de la Cité

21 euros

380 pages

Traduit de l'anglais par Isabelle Maillet