"Danser avec le diable" Maud Tabachnik
San Francisco : Ferris Holme et Molinès viennent de tuer une jeune auto stoppeuse.
Holme pencha sa grande carcasse sur le cadavre et le contempla avec une attention soutenue. Puis il releva la tête et jeta un coup d’œil alentour. Et ce qu’il aperçut de plus proche était le Golden Gate, aussi rouge que le sang qui pissait de la fille qu’il avait prise en stop avec son copain Molinès.
Il se trouvait avec la morte en bordure d’un bois de pins et d’épineux près de Russian Hill, quartier chic de San Francisco. Il avait connu Molinès trois semaines plus tôt en sortant d’une épicerie coréenne. Le mec, noir comme un pruneau mexicain, était appuyé contre une guimbarde rouillée dont même un débile profond n’aurait pas donné deux dollars.
Ils s’étaient regardés, s’étaient sûrement reconnus comme étant deux grands cinglés, parce que, quand Molinès lui avait proposé de faire un trou, Holme avait accepté sans réfléchir.
Ce qui était assez son genre.
Lui et son nouveau copain tournèrent quelque temps dans la région, volant liquides et solides dans des épiceries ou des maisons isolées, dormant à la belle étoile enroulés dans des couvertures qui puaient le cheval parce qu’ils les avaient piquées dans un ranch.
Une fin d’après-midi, avisant une jeune à peine pubère qui attendait son bus, ils lui proposèrent galamment de la reconduire chez elle.
La naïve accepta, et les compères l’embarquèrent dans une balade qui se termina pour la malheureuse dans les hautes herbes d’un talus, car, entre-temps, Holme, examinant la fille assise entre eux, fut choqué par l’allure sexy que lui conféraient des collants noirs qui grimpaient sous sa jupe courte, la faisant ressembler, pensa-t-il avec dégoût, à une pute. Activité qu’il avait toujours réprouvée.
Ils la firent descendre, la jetèrent au sol où pendant que l’un la maintenait de force, l’autre se déculottait et la violait avec toute la frénésie de sa tête malade.
Comme le coin était désert et que déjà le crépuscule prenait ses quartiers, ils la violèrent longtemps, non sans avoir pris soin de la bâillonner et de lui attacher les mains dans le dos, et, pour se donner plus de confort, sans doute, lui avaient écarté les jambes au-delà des limites physiques.
Puis la jugeant encore rétive, bien qu’à bout de forces et sur le point de trépasser, Molinès sortit le couteau qui lui servait à lever les filets chez Colgan et Fils, grossiste en poissons, et lui plongea plusieurs fois dans le corps.
Ensuite, gentil camarde, il tendit la lame fine et coupante comme un rasoir à Holem qui, devant son compagnon hilare, dépeça la jeunesse avec sérieux, s’acharnant sur ses seins, son sexe, sa bouche.
Satisfait de son travail, il rendit l’arme à son ami qui, dans un geste généreux, la lui offrit, et lui proposa d’aller boire un coup. Ce qu’il refusa, arguant qu’il préférait rester en compagnie de la jeune fille.
Molinès lui dit alors qu’il reviendrait le prendre plus tard après sa bringue, ce qu’il ne fit pas, et Holme resta près du cadavre jusqu’à ce que les phares d’une voiture crèvent la nuit et le fassent détaler.
Molinès s’efface, Holme reste.
Et récidive.
Le corps d’une femme de 49 ans est retrouvé sur une plage.
Le lieutenant Boris Berezovsky et son adjoint Xi Hong Chen sont saisis de l’affaire.
Simultanément, Vladimir, le père de Boris, lui annonce que son neveu a été tué et qu’il s’agirait, selon lui, d’un meurtre déguisé et perpétré par le FSB – ancien KGB.
C’est donc une double enquête que va mener Berezovsky.
Les soupçons des deux policiers quant au double homicide se portent immédiatement sur Holme qui est interrogé lors d’une visite dans un foyer de sans abris sur la plage de Winops, là où a été retrouvé le corps de la seconde victime.
Les policiers sont sceptiques et dubitatifs dans un premier temps. Cet homme serait-il réellement fou ou simulerait-il ? Son attitude est pour le moins surprenante. Et surtout, rien ne permet de le retenir ni de l’inculper de quoi que ce soit. Aucune preuve, si ce n’est que la conviction intime de Boris.
Et un foyer n’étant pas une prison, Holme reprend la route…
C'est donc en toute impunité qu'il continue à sévir jusqu’au moment où un événement de taille se produit, événement qui incitera le lecteur à se demander le pourquoi de cet acte. Un revirement de situation qui vient à point nommé à un moment du récit où celui-ci aurait pu s’essouffler de part sa linéarité et qui aura pour effet de décupler l’attention du lecteur en apportant du corps à la narration.
Personnage ambigu que cet homme atteint du syndrome de Klinefelter. Un syndrome qui ne touche que les garçons et qui se caractérise par un chromosome sexuel X supplémentaire. L’individu présente alors deux chromosomes X et un Y, soit 47 chromosomes au lieu de 46. Elle atteint un garçon sur 500 à 700. La principale conséquence qui en résulte est l’infertilité mais on note aussi chez le patient atteint de ce syndrome un retard mental, souvent modéré ainsi que des épisodes convulsifs. On remarque également une certaine apathie, timidité, un manque d’initiative, une fatigabilité excessive, un manque de confiance en soi, de l’anxiété, une immaturité et des difficultés à aller vers les autres et à se lier d’amitié.
Connaître ces points revêt une importance particulière pour la lecture de ce roman et permettra d’apprécier d’autant plus le travail de l’auteure qui a parfaitement su retranscrire tous ces symptômes. Le personnage de Holme, dont la psychologie est très détaillée, n’en est que plus réaliste.
Ferris Holme - Francis Heaulme. On ne pourra aussi s'empêcher de remarquer l'analogie entre le tueur psychopathe héros de ce roman et le tueur en série, surnommé le "Routard du crime" qui a été reconnu coupable de neuf meutres.
Tous les ingrédients d’un bon polar sont réunis dans ce roman : des personnages au caractère affirmé, des scènes qui sonnent juste, de l’humour et une analyse très juste des rapports humains et des différences culturelles.
Pour ne citer qu’un exemple, à la lecture des relations que Boris et sa femme entretiennent avec leur fille, les parents d’adolescents se sentiront un peu moins seuls et se diront que, vraiment, tous les ados sont configurés dans le même moule…
Le duo d’enquêteurs : Boris – Xi fonctionne très bien. Deux caractères complémentaires. Xi temporisera souvent les faits et gestes ainsi que les propos de son supérieur.
Quant à l’écriture, elle est directe et efficace et ne s’encombre pas de fioritures inutiles.
« Danser avec le diable » n’est pas une « banale » histoire de psychopathe mais un récit à double volet où l’auteure brosse également un tableau de la Russie contemporaine.
Maud Tabachnik accorde une importance particulière à ses personnages et ce ne sont pas de simples mots où scènes qui glissent sur le papier mais une étude approfondie et détaillée des protagonistes qui permettra de mieux comprendre certaines situations ou réactions.
Quant à la scène finale, aussi surprenante qu'inattendue, elle pourra laisser un sentiment de frustration mais qui sera sans nul doute comblé par une suite qui sera, je pense, beaucoup plus cadencée et forte de part son importance et sa gravité.
Dans le cas présent, le rythme n'est pas effreiné mais celui d'un excellent roman à suspense où le diable mène très bien la danse et où l'auteure a parfaitement su ne pas faire la surenchère de scènes violentes ni sanglantes. En conclusion, un excellent dosage de tout ce qui contribue à la réussite d'un ouvrage très addictif et que je recommande sans aucune hésitation.
Albin Michel
20,90 €
390 pages
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