"L'innocence des bourreaux" Barbara Abel
Le néant – le vide – le manque. Jo a besoin de sa came. Mais pour pouvoir s'en procurer, il va lui falloir trouver une solution. Et très vite. Etant en pleine crise, s’il ne trouve pas rapidement de l’héro,
Il va mourir, il le sait.
Alors il prend la décision qui s’impose. La dernière chance qui s’offre à lui, pour ne pas mourir seul, comme une merde. Comme un chien. Le fric, il va le prendre là où il se trouve. Par la force. Il a demandé gentiment, ça n’a servi à rien. Personne ne l’a écouté, personne ne l’a entendu. Alors il va demander méchamment. Il va exiger. Il va ordonner. En criant très fort, pour être sûr qu’on l’entende, qu’on l’écoute. Il va menacer. Et il va se servir. Fini d’être la victime. Il va devenir bourreau, celui qui commande, celui que l’on craint.
[…]
Jo se secoue. Reçoit de plein fouet la décharge d’adrénaline qu’un sursaut de conscience lui injecte en plein cœur. C’est le moment d’y aller. Profiter du regain d’énergie provoqué par la peur. Exploiter la force organique que son corps anémié trouve encore le moyen de produire. D’un geste mécanique, Jo vérifie la position de sa cagoule sur la tête, clae ses lunettes sur son nez et s’empare de son flingue.
Puis, à larges pas survoltés, il rejoint la porte du magasin.
L’ouvre à pleine volée.
Bondit à l’intérieur du bâtiment et hurle :
- Tous à terre ! Le premier qui bouge, je le bute !
…
- Aline rend visite à son père, très malade, en compagnie de son fils Théo avec qui elle vient d’avoir une très violente dispute. Elle s’arrête à la supérette de quartier pour faire quelques courses.
- Michèle est aide familiale. Elle s’occupe de Germaine, une vieille dame acariâtre de 83 ans.
- Pour Léa, jeune maman, c’est une très mauvaise journée qui s’annonce. Elle le pressent. Elle n’a plus de couches pour son petit garçon. Elle sait que la supérette est à deux pas, qu’elle n’en a que pour quelques minutes. Quelques minutes, ce n’est rien. D’autant plus que son fils ne bouge pas, tant absorbé qu’il est par son DVD qu’il ne quitte pas des yeux.
- Guillaume attend de savoir s’il va être papa.
- Géraldine est pressée. Elle reçoit ce soir et il lui manque un ingrédient pour sa recette. Elle envoie son fils de 8 ans lui chercher.
- Sophie et Thomas : un couple adultère.
Des personnages tous aussi différents les uns que les autres. Des personnages ordinaires qui, pour des raisons très différentes, n’en avaient que pour quelques minutes et dont le destin va basculer en une fraction de seconde.
Le gérant hoche la tête avant de prendre congé. En se dirigeant vers la porte d’entrée ; il distingue une jeune femme dans le fond du magasin au rayon bébé. C’est également une nouvelle cliente, installée depuis peu dans le quartier.
Tout est sous contrôle.
Au moment où il pousse la porte de la supérette, il s’efface pour laisser passer une femme d’une bonne quarantaine d’années puis il sort à son tour du magasin, rejoint sa voiture et démarre sans perdre de temps.
En quittant le parking, s’il avait regardé dans le rétroviseur, il aurait aperçu la silhouette d’un homme qui, surgissant du recoin gauche du vieux dépôt, se dirige d’un pas survolté vers l’entrée du magasin.
Un homme encagoulé, dont on ne distingue rien, ni les traits, ni le regard.
Un homme qui ouvre violemment la porte à pleine volée et bondit à l’intérieur du bâtiment.
Jo a maintenant obtenu ce qu’il voulait : son argent. Et tout aurait pu se terminer là s’il ne s’était pas laissé griser par la situation. Exister, terroriser, dominer. Avoir le pouvoir de vie et de mort… un sentiment de toute puissance qui ne le lâche plus et l’entraîne dans une spirale infernale et qui marque le début d’un très long cauchemar.
Barbara Abel a volontairement choisi un panel d’hommes et de femmes aussi divers que variés, différentes tranches de vie.
Auteure de plusieurs thrillers psychologiques dont certains déjà chroniqués, elle a l’art de décortiquer les sentiments et de sonder les émotions.
Un par un, elle poussera les limites de ses personnages. Les frontières de leur raison cèderont. Toutes différemment.
L’humour est présent dans ce récit et ce, malgré les situations dramatiques. Le ton est sarcastique à souhait et le personnage de Germaine Dethy, qui ne sera pas sans faire penser à Tatie Danielle, est particulièrement trucculent.
L’amour, la haine, les promesses non tenues, la souffrance, l’oubli, le mensonge sont les ingrédients d’un cocktail un peu particulier dans ce huis clos infernal où les retournements de situations seront nombreux et où les tensions iront crescendo.
La plume est d’une remarquable justesse, les sentiments parfaitement retranscrits, les mots choisis, pesés et adaptés à chaque situation.
Et la boucle sera bouclée. A partir d'un détail donné au début du récit, un détail insignifiant mais qui scellera le destin de certains personnages.
En un mot, ce roman est excellent !
Editions Belfond
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