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Férue de littérature policière, mes goûts sont très éclectiques : romans noirs, romans à suspense, thrillers, thrillers psychologiques ou polars. Face à la profusion d'ouvrages de littérature policière, il est parfois bien difficile de faire son choix. Je vous donne donc mon avis quant à mes lectures.

28 Mar

"Né d'aucune femme" - Franck Bouysse -

Publié par Les Polars de Marine

Lui : l’enfant est le premier personnage à entrer en scène.

Agé de 5 ans à peine et emprisonné par cette vieille dame qui lui interdit d’aller au soleil sous prétexte de « préserver sa peau ».

Sept jours avant son cinquième anniversaire, il franchit la porte de sa prison. 

Il rencontre Janus, le cheval qu’il a vu tant de fois.

Janus, réputé pour sa fougue et sa part indomptable, héritage de la sauvagerie de ses ancêtres, soulève un sabot, le repose et le soulève de nouveau, toujours plus haut, toujours plus fort, observant ardemment l’enfant ; et les martèlements dévorent l’espace qui les sépare à peine. Il ne s’agit pas d’exprimer une véritable colère, plutôt l’esquisse d’une puissance animale. A cet instant, l’enfant devrait être terrifié. Il ne l’est pas. Ses yeux brillent de fierté, déclament un bonheur silencieux. Puis il baisse la tête, ferme les yeux. Attend. Attend que naisse enfin l’inconcevable lien, le temps de donner à l’animal l’occasion de l’épargner ou de lui offrir le néant. Peu importe ce qui se passera ensuite. Cela doit être.

Gabriel est prêtre et se voit chargé d'une "mission" pour le moins inhabituelle.

« Mon père, on va vous demander de bénir le corps d’une femme à l’asile. »
Puis, elle se tut. Je l’entendis reprendre son souffle. J’eus peur qu’elle ne parte et m’approchai de la cloison.
- Et alors, qu’y a-t-il d’extraordinaire à cela ? demandai-je, sans comprendre pourquoi un tel aveu semblait lui coûter tant d’efforts.
- Ce n’est pas …
Elle s’interrompit. Je plissai les yeux pour creuser un peu mieux la pénombre. Sa peau semblait éteinte, comme si la pâle lumière provenant de l’église eût glissé le long des pentes douces de son visage, à la manière d’une rivière brusquement asséchée.
- Sous sa robe, c’est là que je les ai cachés, parvint-elle à dire.
- De quoi parlez-vous ?
- Les cahiers…
- Quels cahiers ?
- Ceux de Rose, ajouta-t-elle comme si c’était une évidence.
- Qui est cette femme ?
Elle ne m’écoutait pas.
- Je veux pas être la seule à savoir.
- Pourquoi ne pas m’avoir apporté ces cahiers, s’ils sont si importants à vos yeux ?
- Ils nous fouillent chaque fois que nous sortons. Vous, ils n’oseront jamais…
Un bruit de pas se fit entendre sur les dalles. L’inconnue se figea. Quelques secondes s’écoulèrent dans une tension palpable.
- Vous ferez ce que je vous demande ? questionna-t-elle d’une voix étouffée.
- Attendez !
- Vous le ferez ?
- Ne partez pas encore.
- Dites-moi que vous le ferez.
- Je le ferai.
Le rideau s’entrouvrit, elle jeta un regard dans l’église, puis sortit en toute hâte. Le visage collé à la cloison, j’eus à peine le temps d’apercevoir, entre deux balancements de tissu, une silhouette encapuchonnée s’éloigner à vive allure sans se retourner. Je sortis du confessionnal aussi vite que je le pus. Plus aucune trace de la femme. Angèle était agenouillée sur un prie-Dieu, le visage enfoncé dans ses mains aux allures de coquillage voué à la préserver de toute distraction. Il me semblait sortir d’un rêve. Je retournai m’asseoir dans le confessionnal, cherchant vainement une preuve de la présence de cette femme, me demandant si la conversation avait réellement eu lieu. Les événements futurs allaient bien vite m’apporter une réponse irrévocable.
[…]
Je saisis délicatement le pan inférieur de la robe en prenant soin de ne pas toucher la dépouille. Je relevai lentement le tissu, dénudant les jambes. Il me semblait commettre un sacrilège, mais le désir de savoir était plus fort. Les cahiers m’apparurent alors, comme enfantés, pliés en deux et calés entre les genoux. Sans même les ouvrir, je les attrapai et m’empressai de les dissimuler sous mon aube, les arrimant à l’aide de ma ceinture. Je remis aussitôt le vêtement de la défunte en place, puis épongeai mon front d’un revers de la manche.
[…]
- Quand voulez-vous faire transporter le corps, pour l’enterrement ? demandai-je.
Il écarta les pans de sa veste et fourra ses pouces dans les poches latérales de son gilet, me regardant désormais d’un air peiné qui sonnait le faux.
- Je ne crois pas qu’il y aura d’enterrement religieux, ajouta-t-il.
Il balança sa tête en faisant la moue, avant de poursuivre d’un air sentencieux :
- Elle a tué son enfant.
Durant quelques secondes, je demeurai interdit devant cet aveu. Je savais que la nature humaine pouvait parfois se révéler impitoyable, mais je n’avais encore jamais eu affaire à un infanticide.
- Pourquoi ne pas me l’avoir dit tout de suite ?
- Pour respecter une dernière volonté faite devant témoin.
- Comment est-ce arrivé ? demandai-je.
- Tout ce que je sais, c’est qu’elle l’a tué de ses propres mains, et que la folie ne l’a plus jamais quittée.

Alors, Gabriel ouvre le premier carnet et commence à lire.

Puis, vient le second. 

Une fois la dernière page tournée, il ressent cet irrépressible besoin de se libérer du poids de ce secret, du poids de ces mots qui l'ont tant touchés et marqués, de l'histoire de la vie de cette femme dont il a été le témoin via ses écrits et que, plus jamais, il ne pourra oublier.

Mais le devoir d'un prêtre est d’écouter et de se faire le gardien des confessions et ce, quoi qu’il arrive.

Il va donc, en recopiant ces deux cahiers, se faire le porte-parole de Rose qui y a raconté sa vie, son enfer, ses peines, ses souffrances et ses joies, si minimes soient-elles.

La narration à la première personne permet une immersion totale dans ce récit d’un autre temps, que je situerais plutôt vers la fin du XIXème siècle, voire au début du XXème siècle et il est à noter que les noms donnés aux protagonistes de ce roman ne semblent pas avoir été choisis au hasard, mais en fonction de leur signification : Janus, Rose, Onésime, Edmond, Artémis, Marie.

Pensez-y lors de votre lecture et celle-ci prendra une toute autre dimension.

Une lecture au cours de laquelle vous découvrirez la vie d’une jeune fille : Rose, dont l’insouciance de l’enfance sera rapidement balayée par la folie d’un homme pour qui les femmes ne valent pas mieux que de vulgaires objets. Une enfant, âgée de 14 ans à peine qui sera lâchée dans les griffes d’un monstre, qui devra apprendre à se taire et à endurer afin de pouvoir survivre et qui aurait presque pu finir par en oublier son nom, les monstres avec lesquels elle vit désormais ne l'appelant jamais par son prénom.

« Mon nom, c’est Rose.

C’est comme ça que je m’appelle… »

Une enfant qui, pour son âge, fait preuve d'une force et d'une maturité hors du commun et qui ne se plaindra jamais mais souffrira en silence son martyr quotidien.

Si seulement elle avait écouté Edmond qui l'avait prévenue, qui lui avait dit de s'enfuir, mais pas explicitement pour quelle raison.

Si seulement ... 

 

« Né d’aucune femme » se place dans la catégorie des romans noirs, mais avec un plus : le mystère y est remarquablement entretenu.

Un roman noir que je qualifierai de véritable chef d’œuvre, totalement addictif et desservi par une narration d’une très grande qualité.

Un ouvrage saisissant, poignant, bouleversant où la folie et l'horreur atteindront leur paroxysme dans certaines scènes.

Un ouvrage qui vous marquera probablement au fer rouge et à côté duquel vous ne pouvez passer, surtout si vous êtes amoureux des mots et aimez la littérature avec un grand "L". 

 

Pour la troisième fois, je suis enthousiasmée par les très grandes qualités de conteur et littéraires de Franck Bouysse.

Auteur de cinq romans, "Né d'aucune femme" est le troisième que je chronique après "Grossir le ciel" et  "Noire porcelaine" et, une fois de plus, ce récit est de ceux qui se vivent et laissent leur empreinte.

 

Enfin, je ne pourrai clore cette chronique sans une mention toute particulière quant à la couverture de ce roman.

Superbe !

 

 

 

Editions la Manufacture de Livres 

20,90 €

Les mots, j'ai appris à les aimer tous, les simples et les compliqués que je lisais dans le journal du maître, ceux que je comprends pas toujours et que j'aime quand même, juste parce qu'ils sonnent bien. La musique qui en sort souvent est capable de m'emmener ailleurs, de me faire voyager en faisant taire ce qu'ils ont dans le ventre, pour faire place à quelque chose de supérieur qui est du rêve.

"Né d'aucune femme" - Franck Bouysse -
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